PIROU Germaine

  • 31842 Auschwitz -47980 Ravensbrück – 2373 Mauthausen

  • Née à Scrignac (29) le 9 mars 1918

  • Décédée à Nice le 2 décembre 2001.

Germaine Pirou voit le jour le 9 mars 1918 à Scrignac dans le Finistère. Son père Pierre Pirou est agriculteur et sa mère Marie-Louise Pirou est ménagère. Ils ont quatre filles, nées entre 1902 et 1918. La famille vit chichement de sa petite ferme. A douze ans Germaine quitte l’école et commence à travailler.  En décembre 1942, elle est serveuse depuis environ 18 mois dans un café de Saint-Malo, Au Petit Matelot, fréquenté par les marins de la Kriegsmarine[1]. Un soir de novembre le café est plein et le service est particulièrement chargé, de nombreux soldats sont venus passer leurs derniers moments à terre avant d’embarquer sur l’un des navires qui vient d’appareiller. Très sollicitée, Germaine ne peut cacher son exaspération et son énervement face à une clientèle qu’elle déteste. Selon Charlotte Delbo[2] Germaine aurait tenu aux marins allemands présents les propos suivants lors de cette soirée : « Vous croyez gagner la guerre, mais vous ne la gagnerez pas. Vous partez, vous ne reviendrez pas. Vous crèverez tous, tous. Les Anglais vont arriver et ils vous couperont le cou. A tous. Je le sais. Je suis renseignée. Je suis communiste ». Mais Germaine n’a jamais été communiste, n’a pas d’engagement politique et n’appartient à aucun réseau de Résistance. Un mois plus tard, le 17 décembre 1942, elle est arrêtée par la Gestapo sur son lieu de travail et est confrontée à deux marins allemands revenus de mission, présents lors de cette soirée de novembre. Elle est accusée « de se livrer à l’espionnage pour le compte des Alliés, de tenir des propos tendant à démoraliser les membres de l’armée d’occupation, d’avoir giflé un militaire allemand et déclaré refuser d’aller travailler pour l’ennemi[3]. » Germaine est incarcérée à la prison de Saint-Malo jusqu’au 20 décembre et est ensuite transférée à la Maison d’Arrêt de Rennes. Dix jours plus tard elle est envoyée au camp d’internement allemand du Fort de Romainville[4] où elle reçoit le matricule 7354. Le 23 janvier 1943, elle est transférée au camp de Royallieu-Compiègne avec 121 autres internées. Elles rejoignent ainsi les 100 détenues qui y avaient été acheminées le jour précédent. Au matin du dimanche 24 janvier, « par un froid humide d’Ile-de-France, avec un ciel bas et des traînées de brume qui s’effilochaient aux arbres[5] », Germaine et ses codétenues sont transportées en camion à la gare de Compiègne où elles montent dans les quatre derniers wagons d’un train de marchandises[6] pour être déportées à Auschwitz. Les autres wagons sont occupés par 1466 hommes en partance pour le camp de Sachsenhausen. Le convoi se séparera plus tard en gare de Halle, en Allemagne. Le convoi des femmes, qui sera appelé plus tard  le convoi des 31000 »  arrive à Auschwitz le 26 janvier 1943 en soirée et restera immobilisé jusqu’au matin du 27 janvier où Germaine et ses compagnes descendent du train sous les cris, les hurlements, et les ordres incompréhensibles des SS. En se rendant au camp des femmes de Birkenau, elles découvrent peu à peu l’univers dantesque du camp. Après la désinfection, la douche, la tonte et la remise de la tenue rayée en usage dans le camp, Germaine reçoit tatoué sur son bras le matricule 31842. Il lui est remis un triangle rouge en tissus avec un « F » qu’elle doit coudre sur sa tenue. Affectée le temps d’une quarantaine de deux semaines au block 14, Germaine fait l’apprentissage des  règles du camp et des hiérarchies qu’il faut respecter. Très vite, elle doit se soumettre aux appels biquotidiens interminables[7], debout dans la neige et à peine vêtue. Appels auxquels de nombreuses déportées ne résistent pas. Exemptée de travail à l’extérieur, elle doit après l’appel s’astreindre à diverses corvées. Le 3 février, avec ses camarades, elle est conduite à Auschwitz I, le camp des hommes, où se tient l’administration pour y être photographiée et fichée. Entre le 5 et le 10 février 1943[8], le commandant du camp, Rudolf Höss, organise un appel général des quinze mille femmes du camp. Par -18°C, rangées par carrés de dix par dix, transies de froid, sans boire, ni manger Germaine et ses codétenues doivent rester debout toute la journée. Mais après l’appel leur calvaire n’est pas pour autant terminé. Pour regagner leur block, elles doivent courir sous une pluie de coups de cannes, de nerfs de bœuf, de bâtons entre une double haie formée de tout ce que compte le camp en SS et, kapos. Lors de cette journée, que les rescapées appelleront le « jour de la Course », de nombreuses déportées succomberont mais Germaine en réchappera. Le 12 février, avec ses compagnes, elle est transférée au block 26 qui « abrite » un millier de femmes de toutes nationalités. Après l’appel du matin, Germaine part travailler 11 heures durant à démolir des maisons, déplacer des pierres, construire des blocks, assécher des marais, construire la voie de chemin de fer. En avril 1943, sur les deux cent trente détenues arrivées à Auschwitz-Birkenau le 26 janvier, seules 70 sont encore en vie. Germaine est de celles-là. Elle échappe aux nombreuses sélections pour la chambre à gaz et parvient à guérir du typhus particulièrement meurtrier en ces premiers mois de 1943. A deux reprises, elle est admise au revier. La première fois parce qu’elle a attrapé le typhus et la seconde fois en raison d’une infection aux yeux (sans doute une séquelle du typhus) qui a failli la rendre aveugle. Au printemps 1943[9], avec 16 de ses compagnes du convoi des 31000 encore survivantes, Germaine est envoyée à Rajsko, l’un des 40 camps satellites d’Auschwitz[10] où elle est affectée au jardinage. Il s’agit d’une station botanique expérimentale dirigée par l’Obersturmbannführer Joachim Ceasar, ingénieur agronome dans le civil, destinée à soutenir l’usine IG Farben en cultivant et en extrayant le latex d’un pissenlit russe (Taraxacum kok-saghyz) . Latex qui doit répondre aux besoins croissants des nazis en matière de caoutchouc de guerre. Elle y connaît des conditions de vie moins effroyables qu’à Birkenau même si une discipline de fer y règne. Germaine peut porter des vêtements propres et des chaussures en cuir et peut dormir seule dans un châlit. Après l’appel beaucoup plus court qu’à Birkenau, elle peut même prendre une douche. Même si la nourriture reste pauvre, elle a la possibilité de voler des légumes dans les jardins où elle travaille, ce qui lui permet de reprendre un peu de forces. Pour Joachim Ceasar, il s’agit d’obtenir avant tout des résultats et non pas d’exterminer par le travail la main d’œuvre qui lui est envoyée. Atteinte à nouveau d’une infection aux yeux, elle est renvoyée en janvier 1944 à Birkenau. Guérie, elle rejoint les camarades restées à Birkenau qui viennent d’être mises en quarantaine à la suite de l’intervention de la Croix-Rouge internationale, informée de la présence d’un groupe de déportées françaises au camp. Durant cette quarantaine qui va durer dix mois elles sont exemptées des travaux forcés et sont autorisées à écrire une lettre à leur famille, obligatoirement en allemand avec l’interdiction d’évoquer leurs conditions de détention. Cette quarantaine aura sans doute permis à Germaine de survivre. En juin 1945 la quarantaine est rompue et Germaine est affectée à un atelier de couture où avec ses camarades elles chargée de ravauder les vêtements que les déportées juifs laissent à l’entrée de la chambre à gaz. Le 2 août avec 34 rescapées du convoi des 31000 elle est envoyée à Ravensbrück où affectée au block 32 elle reçoit le matricule 47980 et est classée « NN [11]». Le 16 août Germaine retrouve ses camarades de Rajsko de retour à Birkenau. Les 52 survivantes du convoi des 31000 sont de nouveau réunies. Le 2 mars 1945, elle est transférée au camp de Mauthausen où elle arrive le 7 mars après un voyage très pénible. Immatriculée 2373, Germaine doit, avec ses camarades, débloquer les voies à la gare de triage d’Amstetten, située près de Mauthausen, gare quotidiennement bombardée par l’aviation américaine. Devant l’inefficacité de cette tâche et le refus des déportées de périr sous les bombardements des alliés, Germaine et ses camarades ne partent plus en kommando. Elles sont désormais employées à des tâches quotidiennes (collecte des effets personnels des détenus ainsi que la gestion des tenues rayées, couture, buanderie…). Le 22 avril 1945, avec toutes les Françaises du camp, Germaine est évacuée par la Croix-Rouge[12] pour être rapatriée en Suisse où elle arrive le 25 avril après trois jours de voyage en camion via l’Autriche. Jugée apte à poursuivre la route vers la France malgré un état de santé moyen, Germaine est accueillie au centre de rapatriement d’Annecy où elle subit une série de visites médicales. Elle regagne Paris par le train probablement vers le 30 avril 1945 pour retrouver ensuite les siens à Scrignac. Germaine figure parmi les 49 survivantes des 230 femmes parties de Compiègne le 24 janvier 1943. Véritable « retour à la vie » après 27 mois de déportation son retour dans sa famille va initier un long processus de reconstruction. Après quelques temps chez ses parents, sans ressources Germaine décide de reprendre le travail et c’est dans le Vaucluse qu’elle va le trouver[13], dans une usine à Avignon, Elle y rencontre son futur mari, Simon Berger, qu’elle épousera le 11 mai 1956 à Avignon et avec lequel elle aura un fils. Simon, naturalisé Français en 1960 est d’origine autrichienne. À l’âge de dix-sept ans et demi, alors qu’il vient de terminer son apprentissage de maçon il est enrôlé de force dans la Wehrmacht. Rentré dans son pays à la fin de la guerre, il ne retrouve pas les siens et n’a pas d’emploi. Il choisit alors de se rendre en France et s’engage dans la Légion étrangère. Blessé à Dien-Bien-Phu, il est démobilisé à Marseille et est embauché dans la même usine que Germaine. Le couple quitte l’usine pour assurer le gardiennage d’une propriété où ils élèvent quelques poules et quelques lapins. Bon élève, leur fils suit sa scolarité dans un lycée d’Avignon à la grande satisfaction de ses parents. Veuve, Germaine Pirou décède à Nice le deux décembre 2001.

Eric Bernard

[1] Nom allemand de la marine de guerre allemande de 1935 à 1945.

[2] DELBO, Charlotte. Le convoi du 24 janvier. Paris : Les éditions de Minuit, 1965 (réédition 2014). Page 232.

[3] Rapport sur Germaine Pirou inséré dans son dossier archivé au SHD de Caen.

[4] De 1940 à 1944, le fort de Romainville est un camp d’internement de l’armée allemande. Y sont internés des milliers de détenus arrêtés pour avoir agi contre le Reich. À partir de 1942, ce sont des otages (communistes, juifs) susceptibles d’être exécutés en cas d’attentat. En 1943, il devient un camp de transit pour la déportation, de femmes exclusivement en 1944.

[5] Témoignage de Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier. Paris : Les éditions de Minuit, 1965 (réédition 2014). Page 9.

[6] Ce transport, composé de 1466 hommes déportés à Sachsenhausen et de 230 femmes, est le seul convoi à avoir dirigé vers Auschwitz-Birkenau des résistantes. Elles ont été immatriculées dans la série des « 31000 » du camp, entre les numéros 31625 et 31854. Sur ces 230 femmes, 85% d’entre elles étaient des résistantes : 119 étaient communistes ou proches du PCF et appartenaient au Front national pour la liberté et l’indépendance de la France. Seulement 49 d’entre elles rentreront de déportation.

[7] Environ de quatre heures

[8] Il est difficile aujourd’hui de connaître la date exacte de cet appel. Charlotte Delbo évoque dans ses écrits le 10 février, Marie-Claude Vaillant-Couturier mentionnera la date du 5 février dans sa déposition au procès de Nuremberg. Teresa Swiebocka et Franciszeck Piper donnent la date du 7 février dans leur ouvrage Auschwitz, camp de concentration et d’extermination, rédigé à partir des archives du camp.

[9] Probablement au vers la mi-mai.

[10] Station botanique expérimentale nazie , dirigée par l’Obersturmbannführer Joachim Ceasar, ingénieur agronome dans le civil, destinée à soutenir l’usine IG Farben en cultivant et en extrayant le latex d’une espèce de pissenlit russe (Taraxacum kok-saghyz) afin de répondre aux besoins de plus en plus importants des nazis en matière de caoutchouc de guerre.

[11] « Nacht und Nebel » (nuit et brouillard), ce qui signifiait qu’elles n’iraient pas travailler en dehors du camp et qu’elles n’avaient pas le droit d’écrire, ni de recevoir des colis. Catégorie de prisonniers destinés à périr sans laisser de traces.

[12] Suite à des accords entre les autorités allemandes et la Croix-Rouge internationale, au moins 469 Françaises seront évacuées. Pour rappel, la libération « véritable » du camp de Mauthausen par les Américains interviendra le 5 mai 1945.

[13] Grâce une camarade de déportation rencontrée à Mauthausen.

Sources :

  • Archives départementales du Finistère, registres des naissances des années 1902, 1904, 1911 et 1918 de la ville de Scrignac , 3 E 345 43/1, 3 E 345 43/3, 3 E 345 44/1 et 3 E 345 44/8.
  • Archives départementales du Finistère, recensement de la ville Scrignac de l’année 1931, cote 6 M 824/1.
  • Ville d’Avignon, service de l’état civil, registre des mariages de l’année 1956.
  • Ville de Nice, service de l’état civil, registre des décès de l’année 2001.
  • Service historique de la défense, département des fonds d’archives, division des archives des victimes des conflits contemporains, site de Caen. Dossier de Germaine Pirou cote AC 21 P 661845
  • Archives de l’ITS d’Arolsen : https://collections.arolsen-archives.org/en/search/topic/1-1-26-4_01012604-005-491?s=Germaine%20Pirou (dernière consultation le 6 janvier 2025)
  • Amicale des déportés, familles et amis de Mauthausen : https://monument-mauthausen.org/les-femmes-dans-le-camp-de.html (dernière consultation le 6 janvier 2025)
  • Site internet de généalogie MyHeritage
  • Site internet de l’association Mémoire Vive des convois des « 45000 » et des « 31000 » d’Auschwitz-Birkenau : http://www.memoirevive.org/germaine-berger-nee-pirou-31842/ (dernière consultation le 15 décembre 2024)
  • Association des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation  : https://afmd.org/le-convoi-de-deportation-dit-des-31-000.html (dernière consultation le 6 janvier 2025)
  • DELBO, Charlotte. Le convoi du 24 janvier. Paris : Les éditions de Minuit, 1965 (réédition 2014). 304 pages
  • GELLY, Violaine, GRADVOHL, Paul. Charlotte Delbo. Paris : Editions Fayard 2013. 323 pages.
  • FERRY-SWAINSON, Kate. « Charlotte Delbo et les femmes du convoi des 31000 : enquête sur les traces d’un camp oublié », disponible sur le site web The Conversation à l’adresse : https://theconversation.com/charlotte-delbo-et-les-femmes-du-convoi-31000-enquete-sur-les-traces-dun-camp-nazi-oublie-232223 (dernière consultation le 6 janvier 2025)
Vous avez un complément d’informations ? N’hésitez pas nous le faire savoir.

PIROU Germaine

  • 31842 Auschwitz -47980 Ravensbrück – 2373 Mauthausen

  • Née à Scrignac (29) le 9 mars 1918

  • Décédée à Nice le 2 décembre 2001.

Germaine Pirou voit le jour le 9 mars 1918 à Scrignac dans le Finistère. Son père Pierre Pirou est agriculteur et sa mère Marie-Louise Pirou est ménagère. Ils ont quatre filles, nées entre 1902 et 1918. La famille vit chichement de sa petite ferme. A douze ans Germaine quitte l’école et commence à travailler.  En décembre 1942, elle est serveuse depuis environ 18 mois dans un café de Saint-Malo, Au Petit Matelot, fréquenté par les marins de la Kriegsmarine[1]. Un soir de novembre le café est plein et le service est particulièrement chargé, de nombreux soldats sont venus passer leurs derniers moments à terre avant d’embarquer sur l’un des navires qui vient d’appareiller. Très sollicitée, Germaine ne peut cacher son exaspération et son énervement face à une clientèle qu’elle déteste. Selon Charlotte Delbo[2] Germaine aurait tenu aux marins allemands présents les propos suivants lors de cette soirée : « Vous croyez gagner la guerre, mais vous ne la gagnerez pas. Vous partez, vous ne reviendrez pas. Vous crèverez tous, tous. Les Anglais vont arriver et ils vous couperont le cou. A tous. Je le sais. Je suis renseignée. Je suis communiste ». Mais Germaine n’a jamais été communiste, n’a pas d’engagement politique et n’appartient à aucun réseau de Résistance. Un mois plus tard, le 17 décembre 1942, elle est arrêtée par la Gestapo sur son lieu de travail et est confrontée à deux marins allemands revenus de mission, présents lors de cette soirée de novembre. Elle est accusée « de se livrer à l’espionnage pour le compte des Alliés, de tenir des propos tendant à démoraliser les membres de l’armée d’occupation, d’avoir giflé un militaire allemand et déclaré refuser d’aller travailler pour l’ennemi[3]. » Germaine est incarcérée à la prison de Saint-Malo jusqu’au 20 décembre et est ensuite transférée à la Maison d’Arrêt de Rennes. Dix jours plus tard elle est envoyée au camp d’internement allemand du Fort de Romainville[4] où elle reçoit le matricule 7354. Le 23 janvier 1943, elle est transférée au camp de Royallieu-Compiègne avec 121 autres internées. Elles rejoignent ainsi les 100 détenues qui y avaient été acheminées le jour précédent. Au matin du dimanche 24 janvier, « par un froid humide d’Ile-de-France, avec un ciel bas et des traînées de brume qui s’effilochaient aux arbres[5] », Germaine et ses codétenues sont transportées en camion à la gare de Compiègne où elles montent dans les quatre derniers wagons d’un train de marchandises[6] pour être déportées à Auschwitz. Les autres wagons sont occupés par 1466 hommes en partance pour le camp de Sachsenhausen. Le convoi se séparera plus tard en gare de Halle, en Allemagne. Le convoi des femmes, qui sera appelé plus tard  le convoi des 31000 »  arrive à Auschwitz le 26 janvier 1943 en soirée et restera immobilisé jusqu’au matin du 27 janvier où Germaine et ses compagnes descendent du train sous les cris, les hurlements, et les ordres incompréhensibles des SS. En se rendant au camp des femmes de Birkenau, elles découvrent peu à peu l’univers dantesque du camp. Après la désinfection, la douche, la tonte et la remise de la tenue rayée en usage dans le camp, Germaine reçoit tatoué sur son bras le matricule 31842. Il lui est remis un triangle rouge en tissus avec un « F » qu’elle doit coudre sur sa tenue. Affectée le temps d’une quarantaine de deux semaines au block 14, Germaine fait l’apprentissage des  règles du camp et des hiérarchies qu’il faut respecter. Très vite, elle doit se soumettre aux appels biquotidiens interminables[7], debout dans la neige et à peine vêtue. Appels auxquels de nombreuses déportées ne résistent pas. Exemptée de travail à l’extérieur, elle doit après l’appel s’astreindre à diverses corvées. Le 3 février, avec ses camarades, elle est conduite à Auschwitz I, le camp des hommes, où se tient l’administration pour y être photographiée et fichée. Entre le 5 et le 10 février 1943[8], le commandant du camp, Rudolf Höss, organise un appel général des quinze mille femmes du camp. Par -18°C, rangées par carrés de dix par dix, transies de froid, sans boire, ni manger Germaine et ses codétenues doivent rester debout toute la journée. Mais après l’appel leur calvaire n’est pas pour autant terminé. Pour regagner leur block, elles doivent courir sous une pluie de coups de cannes, de nerfs de bœuf, de bâtons entre une double haie formée de tout ce que compte le camp en SS et, kapos. Lors de cette journée, que les rescapées appelleront le « jour de la Course », de nombreuses déportées succomberont mais Germaine en réchappera. Le 12 février, avec ses compagnes, elle est transférée au block 26 qui « abrite » un millier de femmes de toutes nationalités. Après l’appel du matin, Germaine part travailler 11 heures durant à démolir des maisons, déplacer des pierres, construire des blocks, assécher des marais, construire la voie de chemin de fer. En avril 1943, sur les deux cent trente détenues arrivées à Auschwitz-Birkenau le 26 janvier, seules 70 sont encore en vie. Germaine est de celles-là. Elle échappe aux nombreuses sélections pour la chambre à gaz et parvient à guérir du typhus particulièrement meurtrier en ces premiers mois de 1943. A deux reprises, elle est admise au revier. La première fois parce qu’elle a attrapé le typhus et la seconde fois en raison d’une infection aux yeux (sans doute une séquelle du typhus) qui a failli la rendre aveugle. Au printemps 1943[9], avec 16 de ses compagnes du convoi des 31000 encore survivantes, Germaine est envoyée à Rajsko, l’un des 40 camps satellites d’Auschwitz[10] où elle est affectée au jardinage. Il s’agit d’une station botanique expérimentale dirigée par l’Obersturmbannführer Joachim Ceasar, ingénieur agronome dans le civil, destinée à soutenir l’usine IG Farben en cultivant et en extrayant le latex d’un pissenlit russe (Taraxacum kok-saghyz) . Latex qui doit répondre aux besoins croissants des nazis en matière de caoutchouc de guerre. Elle y connaît des conditions de vie moins effroyables qu’à Birkenau même si une discipline de fer y règne. Germaine peut porter des vêtements propres et des chaussures en cuir et peut dormir seule dans un châlit. Après l’appel beaucoup plus court qu’à Birkenau, elle peut même prendre une douche. Même si la nourriture reste pauvre, elle a la possibilité de voler des légumes dans les jardins où elle travaille, ce qui lui permet de reprendre un peu de forces. Pour Joachim Ceasar, il s’agit d’obtenir avant tout des résultats et non pas d’exterminer par le travail la main d’œuvre qui lui est envoyée. Atteinte à nouveau d’une infection aux yeux, elle est renvoyée en janvier 1944 à Birkenau. Guérie, elle rejoint les camarades restées à Birkenau qui viennent d’être mises en quarantaine à la suite de l’intervention de la Croix-Rouge internationale, informée de la présence d’un groupe de déportées françaises au camp. Durant cette quarantaine qui va durer dix mois elles sont exemptées des travaux forcés et sont autorisées à écrire une lettre à leur famille, obligatoirement en allemand avec l’interdiction d’évoquer leurs conditions de détention. Cette quarantaine aura sans doute permis à Germaine de survivre. En juin 1945 la quarantaine est rompue et Germaine est affectée à un atelier de couture où avec ses camarades elles chargée de ravauder les vêtements que les déportées juifs laissent à l’entrée de la chambre à gaz. Le 2 août avec 34 rescapées du convoi des 31000 elle est envoyée à Ravensbrück où affectée au block 32 elle reçoit le matricule 47980 et est classée « NN [11]». Le 16 août Germaine retrouve ses camarades de Rajsko de retour à Birkenau. Les 52 survivantes du convoi des 31000 sont de nouveau réunies. Le 2 mars 1945, elle est transférée au camp de Mauthausen où elle arrive le 7 mars après un voyage très pénible. Immatriculée 2373, Germaine doit, avec ses camarades, débloquer les voies à la gare de triage d’Amstetten, située près de Mauthausen, gare quotidiennement bombardée par l’aviation américaine. Devant l’inefficacité de cette tâche et le refus des déportées de périr sous les bombardements des alliés, Germaine et ses camarades ne partent plus en kommando. Elles sont désormais employées à des tâches quotidiennes (collecte des effets personnels des détenus ainsi que la gestion des tenues rayées, couture, buanderie…). Le 22 avril 1945, avec toutes les Françaises du camp, Germaine est évacuée par la Croix-Rouge[12] pour être rapatriée en Suisse où elle arrive le 25 avril après trois jours de voyage en camion via l’Autriche. Jugée apte à poursuivre la route vers la France malgré un état de santé moyen, Germaine est accueillie au centre de rapatriement d’Annecy où elle subit une série de visites médicales. Elle regagne Paris par le train probablement vers le 30 avril 1945 pour retrouver ensuite les siens à Scrignac. Germaine figure parmi les 49 survivantes des 230 femmes parties de Compiègne le 24 janvier 1943. Véritable « retour à la vie » après 27 mois de déportation son retour dans sa famille va initier un long processus de reconstruction. Après quelques temps chez ses parents, sans ressources Germaine décide de reprendre le travail et c’est dans le Vaucluse qu’elle va le trouver[13], dans une usine à Avignon, Elle y rencontre son futur mari, Simon Berger, qu’elle épousera le 11 mai 1956 à Avignon et avec lequel elle aura un fils. Simon, naturalisé Français en 1960 est d’origine autrichienne. À l’âge de dix-sept ans et demi, alors qu’il vient de terminer son apprentissage de maçon il est enrôlé de force dans la Wehrmacht. Rentré dans son pays à la fin de la guerre, il ne retrouve pas les siens et n’a pas d’emploi. Il choisit alors de se rendre en France et s’engage dans la Légion étrangère. Blessé à Dien-Bien-Phu, il est démobilisé à Marseille et est embauché dans la même usine que Germaine. Le couple quitte l’usine pour assurer le gardiennage d’une propriété où ils élèvent quelques poules et quelques lapins. Bon élève, leur fils suit sa scolarité dans un lycée d’Avignon à la grande satisfaction de ses parents. Veuve, Germaine Pirou décède à Nice le deux décembre 2001.

Eric Bernard

[1] Nom allemand de la marine de guerre allemande de 1935 à 1945.

[2] DELBO, Charlotte. Le convoi du 24 janvier. Paris : Les éditions de Minuit, 1965 (réédition 2014). Page 232.

[3] Rapport sur Germaine Pirou inséré dans son dossier archivé au SHD de Caen.

[4] De 1940 à 1944, le fort de Romainville est un camp d’internement de l’armée allemande. Y sont internés des milliers de détenus arrêtés pour avoir agi contre le Reich. À partir de 1942, ce sont des otages (communistes, juifs) susceptibles d’être exécutés en cas d’attentat. En 1943, il devient un camp de transit pour la déportation, de femmes exclusivement en 1944.

[5] Témoignage de Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier. Paris : Les éditions de Minuit, 1965 (réédition 2014). Page 9.

[6] Ce transport, composé de 1466 hommes déportés à Sachsenhausen et de 230 femmes, est le seul convoi à avoir dirigé vers Auschwitz-Birkenau des résistantes. Elles ont été immatriculées dans la série des « 31000 » du camp, entre les numéros 31625 et 31854. Sur ces 230 femmes, 85% d’entre elles étaient des résistantes : 119 étaient communistes ou proches du PCF et appartenaient au Front national pour la liberté et l’indépendance de la France. Seulement 49 d’entre elles rentreront de déportation.

[7] Environ de quatre heures

[8] Il est difficile aujourd’hui de connaître la date exacte de cet appel. Charlotte Delbo évoque dans ses écrits le 10 février, Marie-Claude Vaillant-Couturier mentionnera la date du 5 février dans sa déposition au procès de Nuremberg. Teresa Swiebocka et Franciszeck Piper donnent la date du 7 février dans leur ouvrage Auschwitz, camp de concentration et d’extermination, rédigé à partir des archives du camp.

[9] Probablement au vers la mi-mai.

[10] Station botanique expérimentale nazie , dirigée par l’Obersturmbannführer Joachim Ceasar, ingénieur agronome dans le civil, destinée à soutenir l’usine IG Farben en cultivant et en extrayant le latex d’une espèce de pissenlit russe (Taraxacum kok-saghyz) afin de répondre aux besoins de plus en plus importants des nazis en matière de caoutchouc de guerre.

[11] « Nacht und Nebel » (nuit et brouillard), ce qui signifiait qu’elles n’iraient pas travailler en dehors du camp et qu’elles n’avaient pas le droit d’écrire, ni de recevoir des colis. Catégorie de prisonniers destinés à périr sans laisser de traces.

[12] Suite à des accords entre les autorités allemandes et la Croix-Rouge internationale, au moins 469 Françaises seront évacuées. Pour rappel, la libération « véritable » du camp de Mauthausen par les Américains interviendra le 5 mai 1945.

[13] Grâce une camarade de déportation rencontrée à Mauthausen.

Sources :

  • Archives départementales du Finistère, registres des naissances des années 1902, 1904, 1911 et 1918 de la ville de Scrignac , 3 E 345 43/1, 3 E 345 43/3, 3 E 345 44/1 et 3 E 345 44/8.
  • Archives départementales du Finistère, recensement de la ville Scrignac de l’année 1931, cote 6 M 824/1.
  • Ville d’Avignon, service de l’état civil, registre des mariages de l’année 1956.
  • Ville de Nice, service de l’état civil, registre des décès de l’année 2001.
  • Service historique de la défense, département des fonds d’archives, division des archives des victimes des conflits contemporains, site de Caen. Dossier de Germaine Pirou cote AC 21 P 661845
  • Archives de l’ITS d’Arolsen : https://collections.arolsen-archives.org/en/search/topic/1-1-26-4_01012604-005-491?s=Germaine%20Pirou (dernière consultation le 6 janvier 2025)
  • Amicale des déportés, familles et amis de Mauthausen : https://monument-mauthausen.org/les-femmes-dans-le-camp-de.html (dernière consultation le 6 janvier 2025)
  • Site internet de généalogie MyHeritage
  • Site internet de l’association Mémoire Vive des convois des « 45000 » et des « 31000 » d’Auschwitz-Birkenau : http://www.memoirevive.org/germaine-berger-nee-pirou-31842/ (dernière consultation le 15 décembre 2024)
  • Association des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation  : https://afmd.org/le-convoi-de-deportation-dit-des-31-000.html (dernière consultation le 6 janvier 2025)
  • DELBO, Charlotte. Le convoi du 24 janvier. Paris : Les éditions de Minuit, 1965 (réédition 2014). 304 pages
  • GELLY, Violaine, GRADVOHL, Paul. Charlotte Delbo. Paris : Editions Fayard 2013. 323 pages.
  • FERRY-SWAINSON, Kate. « Charlotte Delbo et les femmes du convoi des 31000 : enquête sur les traces d’un camp oublié », disponible sur le site web The Conversation à l’adresse : https://theconversation.com/charlotte-delbo-et-les-femmes-du-convoi-31000-enquete-sur-les-traces-dun-camp-nazi-oublie-232223 (dernière consultation le 6 janvier 2025)
Vous avez un complément d’informations ? N’hésitez pas nous le faire savoir.