RECHERCHEZ
Née le 30 mars 1906 à Constantinople, Esther Kohen s’installe avec son mari Albert Kohen à Milan entre 1926 et 1928 avant d’émigrer en avril 1939 en France. Elle est arrêtée avec sa fille Fanny à Nîmes le 27 avril 1944 et déportée à Auschwitz le 23 mai 1944. Libérée le 27 janvier 1945, elle est rapatriée en France fin juin 1945. Deux années plus tard, en avril 1947, elle rejoint avec sa fille son époux à Tanger.
Issue de la communauté judéo-espagnole de Turquie, Esther Massa voit le jour à Constantinople le 30 mars 1906. Ses parents sont Rabenou Massa et Victoria Mizrahi. Après une enfance et une adolescence probablement passées à Constantinople, elle épouse en 1926 dans cette même ville Albert Avram Kohen Ventura. Peu après, le couple s’installe à Milan où naît le 22 janvier 1928 leur fille prénommée Fanny Liliane. Onze années plus tard, en avril 1939, la famille Kohen émigre en France. Les juifs de Constantinople entretenaient des liens étroits avec les communautés juives européennes, notamment françaises et italiennes, ce qui peut expliquer le choix de l’Italie et de la France. Seule avec sa fille, elle arrive à Nîmes en janvier 1942 et s’installe au 39 de la rue Courtieu, rejoignant ainsi la communauté judéo-espagnole nîmoise d’environ 300 personnes (nîmoises et réfugiées). L’époux d’Esther a de son côté regagné le Maroc, plus précisément la ville de Tanger où il passera tout le reste de la guerre. Entre janvier et juin 1944, les dénonciations et arrestations des membres de la communauté judéo-espagnole nîmoise par les nazis et leurs collaborateurs s’intensifient. Sur dénonciation[1], Esther et sa fille sont arrêtées à leur domicile par la Gestapo et la Milice le 27 avril 1944, et conduites vraisemblablement à la caserne d’artillerie[2] située route d’Uzès à Nîmes (aujourd’hui caserne de la Légion Etrangère). Peu après elles sont internées à la prison des Beaumettes[3] de Marseille jusqu’à leur départ pour le camp d’internement de Drancy le 19 mai 1944 où Esther se voit attribuer le matricule 22305. Le lendemain dans la soirée du 20 mai, avec sa fille Fanny et 12 autres nîmois, elle quitte Drancy par le convoi n°74 à destination du camp d’Auschwitz. A son arrivée le 23 mai, Esther et sa fille sont sélectionnées pour le travail forcé et tatouées. Elles reçoivent respectivement les numéros A 5527 et A 5528[4]. Le ou les kommandos auxquels Esther a été affectée ne sont pas connus. Elle parvient à rester avec sa fille quelques mois jusqu’au départ de cette dernière pour le camp de Bergen-Belsen intervenu probablement à l’automne 1944 ou au début de l’année 1945. Devant l’avancée des forces armées russes, entre le 17 et le 21 janvier 1945 les dirigeants nazis procèdent à la liquidation totale d’Auschwitz et à l’évacuation finale des déportés vers l’ouest en basse et haute Silésie. Ceux jugés encore valides, les « moins malades » sont alors envoyés sur les routes, dans un froid glacial, mal vêtus et mal chaussés, sans provisions, en colonnes de marche pendant des kilomètres ou transportés en train à wagons découverts. Atteinte du typhus et d’une très forte dysenterie, trop épuisée pour être évacuée, Esther échappe à ces effroyables marches de la mort. Comme les 7000 à 9000[5] déportés restés dans le camp principal, Birkenau et Monowitz, elle attend sa libération qui interviendra avec l’entrée dans le camp des soldats de l’Armée rouge le 27 janvier 1945. Au début du mois de février, elle est transférée au block 13 transformé en infirmerie pour y être soignée. Elle compte parmi les 108 femmes survivantes du convoi n°74. Rapatriée en France le 21 juin 1945, elle décide de retourner à Nîmes et retrouve son domicile rue Courtieu où sa fille qui a survécu à sa déportation l’y rejoindra. Esther se trouve dans un tel état de dénuement que sur le signalement du comité départemental gardois de la de la Fédération des Internés et Déportés Politiques elle obtient le 27 septembre 1945 un secours d’extrême urgence de 2000 francs de la part de l’œuvre municipale du soldat et des déportés de la ville de Nîmes. Si sa situation matérielle est plus que précaire, il en est de même pour son état de santé qualifié de « très mauvais » par l’enquêteur chargé d’instruire les dossiers de demande de secours qui la présente également comme « très déprimée ». En avril 1947 elle émigre avec sa fille au Maroc pour y retrouver son mari à Tanger. En incapacité totale de travail, elle n’exercera après-guerre aucune profession. Avec son époux, elle n’aura de cesse d’entreprendre des démarches en vue d’une indemnisation, notamment auprès du tribunal d’instance de Mayence. En 1967, veuve depuis au moins cinq ans et grand-mère de trois petits-fils, elle se déclare dans certains documents administratifs toujours apatride d’origine turque. Les date et lieu de son décès ne sont pas connus.
Son nom figure sur le mur du mémorial de la shoah : dalle 2, colonne 7, rangée 3
[1] Dans son ouvrage « Les Judéo-Espagnols à Nîmes pendant la seconde guerre mondiale », p.49, Xavier Rothéa émet l’hypothèse que la dénonciation serait le fait d’un certain Pierre François IZERN, collaborateur jugé responsable d’une trentaine d’arrestation. Selon un témoignage de Fanny Kohen, le dénonciateur serait un voisin attiré par la prime de 500 francs allouée à la dénonciation d’une personne juive. Peut-être s’agit-il de la même personne ?
[2] Comme la plupart des personnes juives arrêtées
[3] Après la fermeture du camp des Milles en décembre 1942, les juifs nîmois arrêtés étaient transférés à la prison des Beaumettes.
[4] Sur les 1200 personnes du convoi, 221 hommes sont tatoués des numéros A 5110 à A 5330 et 247 femmes des numéros A 5420 à A 5666. Les 732 déportés qui restent sont immédiatement gazés à l’arrivée du convoi.
[5] Les chiffres divergent selon les sources.
Sources :
- Fondation pour la Mémoire de la Déportation
- Archives de l’ITS d’Arolsen
- Archives municipales de Nîmes, dossiers de demande de secours exceptionnels d’Esther Kohen, cote 4H39
- Institut international pour la mémoire de la Shoah YAD VASHEM : https://collections.yadvashem.org/fr/deportations/5092646
- Article « Fanny Cohen, superviviente sefardI de la Shoa », témoignage de Fanny Liliane Kohen, fille d’Esther Kohen, paru en 2017 sur le portail du judaïsme en Espagne : Sfarad.es
- ROTHEA, Xavier. Les Judéo-Espagnols à Nîmes pendant la Seconde Guerre mondiale. Nîmes : édition du Centre de Recherche Interdisciplinaire en Sciences Sociales – Montpellier III, 2012, 74 p.
RECHERCHEZ
Née le 30 mars 1906 à Constantinople, Esther Kohen s’installe avec son mari Albert Kohen à Milan entre 1926 et 1928 avant d’émigrer en avril 1939 en France. Elle est arrêtée avec sa fille Fanny à Nîmes le 27 avril 1944 et déportée à Auschwitz le 23 mai 1944. Libérée le 27 janvier 1945, elle est rapatriée en France fin juin 1945. Deux années plus tard, en avril 1947, elle rejoint avec sa fille son époux à Tanger.
Issue de la communauté judéo-espagnole de Turquie, Esther Massa voit le jour à Constantinople le 30 mars 1906. Ses parents sont Rabenou Massa et Victoria Mizrahi. Après une enfance et une adolescence probablement passées à Constantinople, elle épouse en 1926 dans cette même ville Albert Avram Kohen Ventura. Peu après, le couple s’installe à Milan où naît le 22 janvier 1928 leur fille prénommée Fanny Liliane. Onze années plus tard, en avril 1939, la famille Kohen émigre en France. Les juifs de Constantinople entretenaient des liens étroits avec les communautés juives européennes, notamment françaises et italiennes, ce qui peut expliquer le choix de l’Italie et de la France. Seule avec sa fille, elle arrive à Nîmes en janvier 1942 et s’installe au 39 de la rue Courtieu, rejoignant ainsi la communauté judéo-espagnole nîmoise d’environ 300 personnes (nîmoises et réfugiées). L’époux d’Esther a de son côté regagné le Maroc, plus précisément la ville de Tanger où il passera tout le reste de la guerre. Entre janvier et juin 1944, les dénonciations et arrestations des membres de la communauté judéo-espagnole nîmoise par les nazis et leurs collaborateurs s’intensifient. Sur dénonciation[1], Esther et sa fille sont arrêtées à leur domicile par la Gestapo et la Milice le 27 avril 1944, et conduites vraisemblablement à la caserne d’artillerie[2] située route d’Uzès à Nîmes (aujourd’hui caserne de la Légion Etrangère). Peu après elles sont internées à la prison des Beaumettes[3] de Marseille jusqu’à leur départ pour le camp d’internement de Drancy le 19 mai 1944 où Esther se voit attribuer le matricule 22305. Le lendemain dans la soirée du 20 mai, avec sa fille Fanny et 12 autres nîmois, elle quitte Drancy par le convoi n°74 à destination du camp d’Auschwitz. A son arrivée le 23 mai, Esther et sa fille sont sélectionnées pour le travail forcé et tatouées. Elles reçoivent respectivement les numéros A 5527 et A 5528[4]. Le ou les kommandos auxquels Esther a été affectée ne sont pas connus. Elle parvient à rester avec sa fille quelques mois jusqu’au départ de cette dernière pour le camp de Bergen-Belsen intervenu probablement à l’automne 1944 ou au début de l’année 1945. Devant l’avancée des forces armées russes, entre le 17 et le 21 janvier 1945 les dirigeants nazis procèdent à la liquidation totale d’Auschwitz et à l’évacuation finale des déportés vers l’ouest en basse et haute Silésie. Ceux jugés encore valides, les « moins malades » sont alors envoyés sur les routes, dans un froid glacial, mal vêtus et mal chaussés, sans provisions, en colonnes de marche pendant des kilomètres ou transportés en train à wagons découverts. Atteinte du typhus et d’une très forte dysenterie, trop épuisée pour être évacuée, Esther échappe à ces effroyables marches de la mort. Comme les 7000 à 9000[5] déportés restés dans le camp principal, Birkenau et Monowitz, elle attend sa libération qui interviendra avec l’entrée dans le camp des soldats de l’Armée rouge le 27 janvier 1945. Au début du mois de février, elle est transférée au block 13 transformé en infirmerie pour y être soignée. Elle compte parmi les 108 femmes survivantes du convoi n°74. Rapatriée en France le 21 juin 1945, elle décide de retourner à Nîmes et retrouve son domicile rue Courtieu où sa fille qui a survécu à sa déportation l’y rejoindra. Esther se trouve dans un tel état de dénuement que sur le signalement du comité départemental gardois de la de la Fédération des Internés et Déportés Politiques elle obtient le 27 septembre 1945 un secours d’extrême urgence de 2000 francs de la part de l’œuvre municipale du soldat et des déportés de la ville de Nîmes. Si sa situation matérielle est plus que précaire, il en est de même pour son état de santé qualifié de « très mauvais » par l’enquêteur chargé d’instruire les dossiers de demande de secours qui la présente également comme « très déprimée ». En avril 1947 elle émigre avec sa fille au Maroc pour y retrouver son mari à Tanger. En incapacité totale de travail, elle n’exercera après-guerre aucune profession. Avec son époux, elle n’aura de cesse d’entreprendre des démarches en vue d’une indemnisation, notamment auprès du tribunal d’instance de Mayence. En 1967, veuve depuis au moins cinq ans et grand-mère de trois petits-fils, elle se déclare dans certains documents administratifs toujours apatride d’origine turque. Les date et lieu de son décès ne sont pas connus.
Son nom figure sur le mur du mémorial de la shoah : dalle 2, colonne 7, rangée 3
[1] Dans son ouvrage « Les Judéo-Espagnols à Nîmes pendant la seconde guerre mondiale », p.49, Xavier Rothéa émet l’hypothèse que la dénonciation serait le fait d’un certain Pierre François IZERN, collaborateur jugé responsable d’une trentaine d’arrestation. Selon un témoignage de Fanny Kohen, le dénonciateur serait un voisin attiré par la prime de 500 francs allouée à la dénonciation d’une personne juive. Peut-être s’agit-il de la même personne ?
[2] Comme la plupart des personnes juives arrêtées
[3] Après la fermeture du camp des Milles en décembre 1942, les juifs nîmois arrêtés étaient transférés à la prison des Beaumettes.
[4] Sur les 1200 personnes du convoi, 221 hommes sont tatoués des numéros A 5110 à A 5330 et 247 femmes des numéros A 5420 à A 5666. Les 732 déportés qui restent sont immédiatement gazés à l’arrivée du convoi.
[5] Les chiffres divergent selon les sources.
Sources :
- Fondation pour la Mémoire de la Déportation
- Archives de l’ITS d’Arolsen
- Archives municipales de Nîmes, dossiers de demande de secours exceptionnels d’Esther Kohen, cote 4H39
- Institut international pour la mémoire de la Shoah YAD VASHEM : https://collections.yadvashem.org/fr/deportations/5092646
- Article « Fanny Cohen, superviviente sefardI de la Shoa », témoignage de Fanny Liliane Kohen, fille d’Esther Kohen, paru en 2017 sur le portail du judaïsme en Espagne : Sfarad.es
- ROTHEA, Xavier. Les Judéo-Espagnols à Nîmes pendant la Seconde Guerre mondiale. Nîmes : édition du Centre de Recherche Interdisciplinaire en Sciences Sociales – Montpellier III, 2012, 74 p.




