RECHERCHEZ
Fils de Joseph Bianco, cordonnier d’origine italienne et de Marie Migliano sans profession, René Vincent Bianco voit le jour le 2 août 1906 à Cers dans l’Hérault. Il est le second enfant du couple qui a déjà une fille née à Pézenas en 1903 et prénommée maria Antoinette. D’abord domestique dès l’âge de 15 ans dans une famille d’agriculteurs d’Aujac dans le Gard, René Bianco est après son retour du service militaire embauché comme journalier début mai 1930 par la société de chemins de fer PLM. Remercié fin novembre de la même année, il trouve un emploi de cantonnier à Sauveterre dans le Gard. En 1931, il s’installe à Carpentras dans le Vaucluse où il sera successivement maçon et chauffeur. Le 10 juin 1934, il épouse dans cette même ville Françoise Sebastia-Clément, veuve et mère de trois enfants qu’il élèvera comme ses enfants. En 1936 il adhère au parti communiste et intègre la cellule de Carpentras. Après sa démobilisation fin juin 1940, René Bianco poursuit son engagement au sein du parti communiste devenu illégal depuis sa dissolution par le décret du 26 septembre 1939[1]. Avant même le 26 septembre, le gouvernement Daladier a déjà mis en oeuvre toute une série de mesures règlementaires et législatives visant à museler le parti communiste. Dès le 24 août, les publications communistes sont saisies et interdites dans le but d’empêcher la propagande du PCF. Le préfet du Vaucluse interdit toute réunion organisée par le parti communiste et charge les services de police du département de procéder aux perquisitions de tout document ou matériel d’imprimerie « servant ou pouvant servir à semer la discorde entre les citoyens, ou nuire aux intérêts de la défense nationale [2]». Dès l’entrée en guerre, René Bianco et ses camarades font alors l’objet d’une véritable chasse aux communistes. Les « menées communistes » sont ainsi assimilées à de la trahison. Avec la loi du 20 janvier 1940, un grand nombre d’élus communistes vauclusiens sont déchus de leurs fonctions électives et certains sont assignés à résidence. En 1941, année où la répression anticommuniste par le gouvernement de Vichy atteint son apogée, René Bianco participe avec 14 autres militants communistes vauclusiens à toute une série d’actions de propagande contre Vichy. Actions qui prennent la forme de distributions de tracts, d’appositions de papillons et d’inscriptions murales. A la suite d’une surveillance accrue des services de la police spéciale d’Avignon deux militants[3] du groupe auquel appartient René Bianco sont arrêtés à Avignon la veille du 1e mai 1941 alors qu’ils s’apprêtaient à une distribution de tracts. Des investigations plus poussées sont alors mises en place par la 9e brigade régionale de Police Mobile de Marseille. A la suite de plusieurs perquisitions et d’interrogatoires de militants, René Bianco est arrêté le 4 mai 1941 à son domicile. Il reconnaît avoir reçu et transporté fin février 1941 des tracts et papillons destinés à la diffusion, et avoir remis à certains militants du groupe des numéros de journaux clandestins[4]. Il affirme en avoir lui-même distribué à Carpentras au cours du mois d’avril 1941. Enfin il dit être l’auteur d’inscriptions murales faites à Carpentras dans la nuit du 1e mai. Avec deux de ses camarades, Louis Milhet et François Bernard, René Bianco est incarcéré à la maison d’arrêt d’Avignon le 5 mai à 19h30. Avec ses camarades, il y restera jusqu’au 20 septembre 1941, date à laquelle il est transféré au Fort Saint-Nicolas à Marseille où doit se tenir devant la section spéciale du tribunal de la 15ième Division Militaire[5] les 24 et 25 septembre 1941 son procès ainsi que celui des 14 autres militants communistes de son groupe. A l’issue du procès, comme 12 de ses 14 co-inculpés[6], il est déclaré coupable « d’avoir à Avignon et dans la région vauclusienne, courant 1941, […] fait circuler, distribué et détenu en vue de la distribution des écrits périodiques ou non et du matériel de diffusion tenant à propager les mots d’ordre de la troisième internationale ou des organismes qui s’y rattachent. ». René Bianco est alors condamné à une peine de cinq ans d’emprisonnement, à une amende de 1000 francs et à cinq ans d’interdiction de ses droits civils, civiques et de famille. Détenu dans un premier temps à la prison Saint-Pierre de Marseille, il est transféré à la Maison centrale de Nîmes le 16 octobre 1941 pour y purger sa peine. Deux ans plus tard, il est envoyé le 15 octobre 1943 avec 150 détenus à la centrale d’Eysses de Villeneuve-sur-Lot. A son arrivée, il reçoit le numéro d’écrou 2474 et est affecté au préau 4[7]. A Eysses, René Bianco côtoie des hommes de toutes origines, géographique, sociale et politique[8], unis par une forte solidarité matérielle, culturelle et psychologique. Bien qu’étant un lieu de répression et de privation de liberté, la centrale d’Eysses voit s’organiser en son sein toute une série de conférences, de cours où les idéaux de la Résistance peuvent largement s’exprimer. Il s’agit également de partager la connaissance, de réfléchir et de préparer la libération du pays et sa reconstruction. Très vite les résistants emprisonnés à Eysses vont s’unir au sein d’un Collectif sous la forme d’un « Front national » à laquelle adhèrent la plupart des organisations de résistance représentées au sein de la centrale[9]. Ce dernier met au point une organisation résistante[10]à l’intérieur de la centrale, organisation[11] à laquelle appartient René Bianco. Il se montre très actif lors de la tentative d’évasion collective des 19 et 20 février 1944 en vue de rejoindre la Résistance extérieure. Tentative qui se solde par un échec au bout de 13 heures de combat avec l’arrivée de renforts allemands, et qui fera l’objet d’une répression féroce[12]. Le régime de détention va par la suite se durcir sensiblement pour René Bianco et ses codétenus. Le 30 mai 1944, ils sont remis à la division SS Das Reich[13] et dirigés vers le camp d’internement de Compiègne-Royallieu où ils arrivent le 3 juin. Ils sont affectés au camp disciplinaire C, Camp qui avait réservé aux internés juifs jusqu’à l’été 1943 avant d’être destiné aux internés considérés comme « particulièrement dangereux » par les Allemands. Ils en repartent le 18 juin 1944 pour le camp de Dachau où ils arrivent le 20 juin dans l’après-midi, après trois jours d’un voyage effroyable, entassés à 110 ou 120 dans des wagons à bestiaux où la soif omniprésente a rendu fous certains déportés. Après 14 heures d’attente sur la place d’appel, René Bianco se plie aux formalités administratives d’enregistrement du déporté lors de son arrivée au camp. À un rythme effréné et sous les coups de matraque des kapos viennent ensuite les séances de déshabillage et de désinfection. Il regagne enfin son block de quarantaine où il restera quelques semaines. Immatriculé 73097, René Bianco rejoint (debout en camion) en juillet 1944 le kommando de Landsberg avec 349 autres détenus, principalement des anciens internés de la centrale D’Eysses. Astreint à des journées de travail de 12 heures sans compter les temps d’appel, « mis à la disposition » des usines Dormier, René Bianco se voit affecté à de durs labeurs de terrassement en vue du prolongement d’une piste d’aviation, et à des missions de déminage extrêmement dangereuses. Les départs et les retours de chantiers doivent se faire à une allure rapide, militaire, impeccable et le moindre « écart » est aussitôt suivi de sanctions, de châtiments corporels[14]. C’est ce qui va arriver à René Bianco un jour d’octobre 1944. En rentrant d’un chantier, sans motif apparent, un S.S.[15] s’acharne sur lui à coups de crosse de fusil. Atteint sur tout le corps et particulièrement à la tête et au genou, il doit rester quelques jours à l’infirmerie où des camarades l’ont amené[16]. René Bianco en gardera de nombreuses séquelles notamment de violentes céphalées, des douleurs persistantes au genou et à la colonne vertébrale. Sous-alimenté[17], épuisé, sans possibilité de se chauffer, il doit également supporter un hiver 1944-1945 particulièrement rude durant lequel les températures chutent jusqu’à moins 20°, avec 50 cm de neige. A Noël 1944, sur les 350 déportés arrivés en juillet à Landsberg, il n’en reste plus que 250. René Bianco est de ceux-là. Devant l’avancée des troupes alliées, le kommando est évacué le 25 avril 1945. René Bianco et ses codétenus quittent le camp à pied en direction de Dachau. Le lendemain, la colonne de déportés bifurque vers Allach, le camp principal étant complet. Le 27 avril, René Bianco arrive à Allach après avoir parcouru 70 Km à pied en une journée et demie. Cinq jours plus tard il est libéré par les troupes américaines. Après être passé par le centre de rapatriement de Mulhouse, il retrouve les siens à Carpentras le 2 juin 1945.
Après des démarches engagées dès le début des années 1950, René Bianco obtient le titre de déporté résistant en février 1959. Employé municipal à la retraite, il décède à Carpentras le 23 juillet 1992.
Eric Bernard
[1] Pris à la suite de la signature du pacte germano-soviétique le 23 août 1939. Pacte dit de « non-agression » signé à Moscou entre l’URSS et l’Allemagne. Conclu pour une durée de dix ans, ce pacte inclut une aide économique de l’URSS à l’Allemagne avec d’importantes livraisons de blé, pétrole et matières premières. Une clause secrète prévoit le partage de la Pologne en zones d’influence allemande et soviétique
[2] D’après l’article de Florent Gouven, « Les acteurs ordinaires d’un anticommunisme inédit : surveillance, répression et « abjuration » en province (automne 1938-printemps 1940) » dans Histoire documentaire du communisme, Jean Vigreux et Romain Ducoulombier [dir.], Territoires contemporains-nouvelle série [en ligne], 3 mars 2017, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. (Dernière consultation le 15 janvier 2025).
[3] Jean Gonnet et Fernand Melve
[4] Il s’agit de Rouge Midi et de l’Humanité.
[5] Nouvelle juridiction créée le 14 août 1941 par le gouvernement de Vichy dans la zone non occupée. Elle est chargée de juger les « menées antinationales » et, plus particulièrement, les activités « communistes et anarchistes ».
[6] Un co-inculpé sera acquitté.
[7] La centrale d’Eysses était divisée en quatre préaux regroupant chacun 150 à 300 internés
[8] Voir l’ouvrage de Corinne Jaladieu : La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes.
[9] Ibid.
[10] La mise en place d’une organisation militaire en vue de la préparation d’une évasion collective lui vaudra d’être reconnu après la guerre comme bataillon des Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.).
[11] Organisation à laquelle s’associera une partie du personnel pénitentiaire.
[12] 12 internés seront fusillés.
[13] Unité d’élite, la division blindée SS Das Reich était composée de jeunes engagés et de vétérans rompus aux méthodes punitives qui avaient commis sur le Front de l’Est de nombreux crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Basée à Montauban, sur l’ordre d’Hitler elle a une double mission : rejoindre au plus vite la Normandie où vient d’avoir lieu le débarquement et « nettoyer » les maquis français de leurs Résistants. En France elle a commis plusieurs atrocités, notamment à Tulle (99 hommes choisis au hasard et pendus à des balcons ou à des réverbères) et à Oradour-sur-Glane où elle a massacré, le 10 juin 1944, 642 habitants
[14] Témoignage d’Albert Fuchs, déporté à Dachau.
[15] Sans doute s’agit-il de Willy Wagner S.S. Oberscharfweher, chef du camp qui s’est particulièrement distingué par sa brutalité, voire son sadisme. Il faisait régner un véritable climat de terreur au sein du Kommando.
[16] Témoignage écrit de René Bianco en mars 1960.
[17] Malgré l’envoi de colis par la Croix-Rouge de la mi-décembre 1944 et la mi-mars 1945.
Sources :
- Service Historique de la Défense, département des fonds d’archives, division des archives des victimes des conflits contemporains, site de Caen. Dossier de René Bianco, cote AC 21 P 709199
- Service Historique de la Défense, site de Vincennes. Dossier de René Bianco, cote 16 P 58187
- Site de généalogie MyHeritage : https://www.myheritage.fr
- AD 84 écrou Maison d’arrêt d’Avignon (cote 1660 W 38)
- AD 47 écrou de la centrale d’Eysses, (cote 940 W 14)
- AD 34 registre des naissances année 1906 commune de Cers (cote 2 MI EC 73/2) et registre des naissances année 1903 commune de Pézenas (cote 2 MI EC 199/1)
- Dépôt central des archives de la justice militaire (DCAJM) du Ministère de la Défense, site de Leblanc. Dossier relatif au procès de François Bernard des 24 et 25 septembre 1941.
- Journal Le Ventoux du 16 mai 1941. Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras.
- Hervé Aliquot, Le Vaucluse dans la guerre 1939-1945, éditions Horvath, 1987, p. 18 à 20.
- JALADIEU, Corinne. La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes. Paris : éd. L’Harmattan, décembre 2007, 289 p.
- Amicale des Anciens Détenus Patriotes de la Centrale d’Eysses. L’insurrection d’Eysses (19-23 février 1944). Une prison dans la Résistance. Paris : éditions sociales, 2e édition, 1e trimestre 1974, 252 p
- GOUVEN, Florent. « « Les acteurs ordinaires d’un anticommunisme inédit : surveillance, répression et « abjuration » en province (automne 1938-printemps 1940) » dans Histoire documentaire du communisme, Jean Vigreux et Romain Ducoulombier [dir.], Territoires contemporains-nouvelle série [en ligne], 3 mars 2017 disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. (Dernière consultation le 18 janvier 2025).
- FUCHS, Albert. « Un Commando de Dachau : Landsberg-sur-Lech ». Extrait de De l’université au camp de concentration. Témoignages strasbourgeois. Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1947, 564 p. En ligne sur : http://bteysses.free.fr/Temoignages/UN_COMMANDO_DE_DACHAU.htm (dernière consultation le 18 décembre 2025).
RECHERCHEZ
Fils de Joseph Bianco, cordonnier d’origine italienne et de Marie Migliano sans profession, René Vincent Bianco voit le jour le 2 août 1906 à Cers dans l’Hérault. Il est le second enfant du couple qui a déjà une fille née à Pézenas en 1903 et prénommée maria Antoinette. D’abord domestique dès l’âge de 15 ans dans une famille d’agriculteurs d’Aujac dans le Gard, René Bianco est après son retour du service militaire embauché comme journalier début mai 1930 par la société de chemins de fer PLM. Remercié fin novembre de la même année, il trouve un emploi de cantonnier à Sauveterre dans le Gard. En 1931, il s’installe à Carpentras dans le Vaucluse où il sera successivement maçon et chauffeur. Le 10 juin 1934, il épouse dans cette même ville Françoise Sebastia-Clément, veuve et mère de trois enfants qu’il élèvera comme ses enfants. En 1936 il adhère au parti communiste et intègre la cellule de Carpentras. Après sa démobilisation fin juin 1940, René Bianco poursuit son engagement au sein du parti communiste devenu illégal depuis sa dissolution par le décret du 26 septembre 1939[1]. Avant même le 26 septembre, le gouvernement Daladier a déjà mis en oeuvre toute une série de mesures règlementaires et législatives visant à museler le parti communiste. Dès le 24 août, les publications communistes sont saisies et interdites dans le but d’empêcher la propagande du PCF. Le préfet du Vaucluse interdit toute réunion organisée par le parti communiste et charge les services de police du département de procéder aux perquisitions de tout document ou matériel d’imprimerie « servant ou pouvant servir à semer la discorde entre les citoyens, ou nuire aux intérêts de la défense nationale [2]». Dès l’entrée en guerre, René Bianco et ses camarades font alors l’objet d’une véritable chasse aux communistes. Les « menées communistes » sont ainsi assimilées à de la trahison. Avec la loi du 20 janvier 1940, un grand nombre d’élus communistes vauclusiens sont déchus de leurs fonctions électives et certains sont assignés à résidence. En 1941, année où la répression anticommuniste par le gouvernement de Vichy atteint son apogée, René Bianco participe avec 14 autres militants communistes vauclusiens à toute une série d’actions de propagande contre Vichy. Actions qui prennent la forme de distributions de tracts, d’appositions de papillons et d’inscriptions murales. A la suite d’une surveillance accrue des services de la police spéciale d’Avignon deux militants[3] du groupe auquel appartient René Bianco sont arrêtés à Avignon la veille du 1e mai 1941 alors qu’ils s’apprêtaient à une distribution de tracts. Des investigations plus poussées sont alors mises en place par la 9e brigade régionale de Police Mobile de Marseille. A la suite de plusieurs perquisitions et d’interrogatoires de militants, René Bianco est arrêté le 4 mai 1941 à son domicile. Il reconnaît avoir reçu et transporté fin février 1941 des tracts et papillons destinés à la diffusion, et avoir remis à certains militants du groupe des numéros de journaux clandestins[4]. Il affirme en avoir lui-même distribué à Carpentras au cours du mois d’avril 1941. Enfin il dit être l’auteur d’inscriptions murales faites à Carpentras dans la nuit du 1e mai. Avec deux de ses camarades, Louis Milhet et François Bernard, René Bianco est incarcéré à la maison d’arrêt d’Avignon le 5 mai à 19h30. Avec ses camarades, il y restera jusqu’au 20 septembre 1941, date à laquelle il est transféré au Fort Saint-Nicolas à Marseille où doit se tenir devant la section spéciale du tribunal de la 15ième Division Militaire[5] les 24 et 25 septembre 1941 son procès ainsi que celui des 14 autres militants communistes de son groupe. A l’issue du procès, comme 12 de ses 14 co-inculpés[6], il est déclaré coupable « d’avoir à Avignon et dans la région vauclusienne, courant 1941, […] fait circuler, distribué et détenu en vue de la distribution des écrits périodiques ou non et du matériel de diffusion tenant à propager les mots d’ordre de la troisième internationale ou des organismes qui s’y rattachent. ». René Bianco est alors condamné à une peine de cinq ans d’emprisonnement, à une amende de 1000 francs et à cinq ans d’interdiction de ses droits civils, civiques et de famille. Détenu dans un premier temps à la prison Saint-Pierre de Marseille, il est transféré à la Maison centrale de Nîmes le 16 octobre 1941 pour y purger sa peine. Deux ans plus tard, il est envoyé le 15 octobre 1943 avec 150 détenus à la centrale d’Eysses de Villeneuve-sur-Lot. A son arrivée, il reçoit le numéro d’écrou 2474 et est affecté au préau 4[7]. A Eysses, René Bianco côtoie des hommes de toutes origines, géographique, sociale et politique[8], unis par une forte solidarité matérielle, culturelle et psychologique. Bien qu’étant un lieu de répression et de privation de liberté, la centrale d’Eysses voit s’organiser en son sein toute une série de conférences, de cours où les idéaux de la Résistance peuvent largement s’exprimer. Il s’agit également de partager la connaissance, de réfléchir et de préparer la libération du pays et sa reconstruction. Très vite les résistants emprisonnés à Eysses vont s’unir au sein d’un Collectif sous la forme d’un « Front national » à laquelle adhèrent la plupart des organisations de résistance représentées au sein de la centrale[9]. Ce dernier met au point une organisation résistante[10]à l’intérieur de la centrale, organisation[11] à laquelle appartient René Bianco. Il se montre très actif lors de la tentative d’évasion collective des 19 et 20 février 1944 en vue de rejoindre la Résistance extérieure. Tentative qui se solde par un échec au bout de 13 heures de combat avec l’arrivée de renforts allemands, et qui fera l’objet d’une répression féroce[12]. Le régime de détention va par la suite se durcir sensiblement pour René Bianco et ses codétenus. Le 30 mai 1944, ils sont remis à la division SS Das Reich[13] et dirigés vers le camp d’internement de Compiègne-Royallieu où ils arrivent le 3 juin. Ils sont affectés au camp disciplinaire C, Camp qui avait réservé aux internés juifs jusqu’à l’été 1943 avant d’être destiné aux internés considérés comme « particulièrement dangereux » par les Allemands. Ils en repartent le 18 juin 1944 pour le camp de Dachau où ils arrivent le 20 juin dans l’après-midi, après trois jours d’un voyage effroyable, entassés à 110 ou 120 dans des wagons à bestiaux où la soif omniprésente a rendu fous certains déportés. Après 14 heures d’attente sur la place d’appel, René Bianco se plie aux formalités administratives d’enregistrement du déporté lors de son arrivée au camp. À un rythme effréné et sous les coups de matraque des kapos viennent ensuite les séances de déshabillage et de désinfection. Il regagne enfin son block de quarantaine où il restera quelques semaines. Immatriculé 73097, René Bianco rejoint (debout en camion) en juillet 1944 le kommando de Landsberg avec 349 autres détenus, principalement des anciens internés de la centrale D’Eysses. Astreint à des journées de travail de 12 heures sans compter les temps d’appel, « mis à la disposition » des usines Dormier, René Bianco se voit affecté à de durs labeurs de terrassement en vue du prolongement d’une piste d’aviation, et à des missions de déminage extrêmement dangereuses. Les départs et les retours de chantiers doivent se faire à une allure rapide, militaire, impeccable et le moindre « écart » est aussitôt suivi de sanctions, de châtiments corporels[14]. C’est ce qui va arriver à René Bianco un jour d’octobre 1944. En rentrant d’un chantier, sans motif apparent, un S.S.[15] s’acharne sur lui à coups de crosse de fusil. Atteint sur tout le corps et particulièrement à la tête et au genou, il doit rester quelques jours à l’infirmerie où des camarades l’ont amené[16]. René Bianco en gardera de nombreuses séquelles notamment de violentes céphalées, des douleurs persistantes au genou et à la colonne vertébrale. Sous-alimenté[17], épuisé, sans possibilité de se chauffer, il doit également supporter un hiver 1944-1945 particulièrement rude durant lequel les températures chutent jusqu’à moins 20°, avec 50 cm de neige. A Noël 1944, sur les 350 déportés arrivés en juillet à Landsberg, il n’en reste plus que 250. René Bianco est de ceux-là. Devant l’avancée des troupes alliées, le kommando est évacué le 25 avril 1945. René Bianco et ses codétenus quittent le camp à pied en direction de Dachau. Le lendemain, la colonne de déportés bifurque vers Allach, le camp principal étant complet. Le 27 avril, René Bianco arrive à Allach après avoir parcouru 70 Km à pied en une journée et demie. Cinq jours plus tard il est libéré par les troupes américaines. Après être passé par le centre de rapatriement de Mulhouse, il retrouve les siens à Carpentras le 2 juin 1945.
Après des démarches engagées dès le début des années 1950, René Bianco obtient le titre de déporté résistant en février 1959. Employé municipal à la retraite, il décède à Carpentras le 23 juillet 1992.
Eric Bernard
[1] Pris à la suite de la signature du pacte germano-soviétique le 23 août 1939. Pacte dit de « non-agression » signé à Moscou entre l’URSS et l’Allemagne. Conclu pour une durée de dix ans, ce pacte inclut une aide économique de l’URSS à l’Allemagne avec d’importantes livraisons de blé, pétrole et matières premières. Une clause secrète prévoit le partage de la Pologne en zones d’influence allemande et soviétique
[2] D’après l’article de Florent Gouven, « Les acteurs ordinaires d’un anticommunisme inédit : surveillance, répression et « abjuration » en province (automne 1938-printemps 1940) » dans Histoire documentaire du communisme, Jean Vigreux et Romain Ducoulombier [dir.], Territoires contemporains-nouvelle série [en ligne], 3 mars 2017, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. (Dernière consultation le 15 janvier 2025).
[3] Jean Gonnet et Fernand Melve
[4] Il s’agit de Rouge Midi et de l’Humanité.
[5] Nouvelle juridiction créée le 14 août 1941 par le gouvernement de Vichy dans la zone non occupée. Elle est chargée de juger les « menées antinationales » et, plus particulièrement, les activités « communistes et anarchistes ».
[6] Un co-inculpé sera acquitté.
[7] La centrale d’Eysses était divisée en quatre préaux regroupant chacun 150 à 300 internés
[8] Voir l’ouvrage de Corinne Jaladieu : La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes.
[9] Ibid.
[10] La mise en place d’une organisation militaire en vue de la préparation d’une évasion collective lui vaudra d’être reconnu après la guerre comme bataillon des Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.).
[11] Organisation à laquelle s’associera une partie du personnel pénitentiaire.
[12] 12 internés seront fusillés.
[13] Unité d’élite, la division blindée SS Das Reich était composée de jeunes engagés et de vétérans rompus aux méthodes punitives qui avaient commis sur le Front de l’Est de nombreux crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Basée à Montauban, sur l’ordre d’Hitler elle a une double mission : rejoindre au plus vite la Normandie où vient d’avoir lieu le débarquement et « nettoyer » les maquis français de leurs Résistants. En France elle a commis plusieurs atrocités, notamment à Tulle (99 hommes choisis au hasard et pendus à des balcons ou à des réverbères) et à Oradour-sur-Glane où elle a massacré, le 10 juin 1944, 642 habitants
[14] Témoignage d’Albert Fuchs, déporté à Dachau.
[15] Sans doute s’agit-il de Willy Wagner S.S. Oberscharfweher, chef du camp qui s’est particulièrement distingué par sa brutalité, voire son sadisme. Il faisait régner un véritable climat de terreur au sein du Kommando.
[16] Témoignage écrit de René Bianco en mars 1960.
[17] Malgré l’envoi de colis par la Croix-Rouge de la mi-décembre 1944 et la mi-mars 1945.
Sources :
- Service Historique de la Défense, département des fonds d’archives, division des archives des victimes des conflits contemporains, site de Caen. Dossier de René Bianco, cote AC 21 P 709199
- Service Historique de la Défense, site de Vincennes. Dossier de René Bianco, cote 16 P 58187
- Site de généalogie MyHeritage : https://www.myheritage.fr
- AD 84 écrou Maison d’arrêt d’Avignon (cote 1660 W 38)
- AD 47 écrou de la centrale d’Eysses, (cote 940 W 14)
- AD 34 registre des naissances année 1906 commune de Cers (cote 2 MI EC 73/2) et registre des naissances année 1903 commune de Pézenas (cote 2 MI EC 199/1)
- Dépôt central des archives de la justice militaire (DCAJM) du Ministère de la Défense, site de Leblanc. Dossier relatif au procès de François Bernard des 24 et 25 septembre 1941.
- Journal Le Ventoux du 16 mai 1941. Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras.
- Hervé Aliquot, Le Vaucluse dans la guerre 1939-1945, éditions Horvath, 1987, p. 18 à 20.
- JALADIEU, Corinne. La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes. Paris : éd. L’Harmattan, décembre 2007, 289 p.
- Amicale des Anciens Détenus Patriotes de la Centrale d’Eysses. L’insurrection d’Eysses (19-23 février 1944). Une prison dans la Résistance. Paris : éditions sociales, 2e édition, 1e trimestre 1974, 252 p
- GOUVEN, Florent. « « Les acteurs ordinaires d’un anticommunisme inédit : surveillance, répression et « abjuration » en province (automne 1938-printemps 1940) » dans Histoire documentaire du communisme, Jean Vigreux et Romain Ducoulombier [dir.], Territoires contemporains-nouvelle série [en ligne], 3 mars 2017 disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. (Dernière consultation le 18 janvier 2025).
- FUCHS, Albert. « Un Commando de Dachau : Landsberg-sur-Lech ». Extrait de De l’université au camp de concentration. Témoignages strasbourgeois. Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1947, 564 p. En ligne sur : http://bteysses.free.fr/Temoignages/UN_COMMANDO_DE_DACHAU.htm (dernière consultation le 18 décembre 2025).