RECHERCHEZ
Delphine, Antoinette est la fille d’Auguste Louis Jallat, plâtrier et de Louise Peyron, sans profession. Elle a un frère aîné, André, né le 12 avril 1899. Ses père et mère décèdent respectivement en 1914 et 1921 à Nîmes. Après le certificat d’études, elle occupe divers emplois dont celui de vendeuse[1]. Le 29 août 1925, elle épouse à Paris, Charles Félix Presset employé de commerce né en Haute-Savoie et résidant à Paris. Au moment de son mariage, Delphine est domiciliée à Perpignan et sans profession[2]. Sa date d’arrivée en région parisienne n’est pas connue. Le ménage habite successivement Paris, Saint-Denis et Villetaneuse. Avant la guerre, elle adhère au parti communiste et cessera d’avoir une activité politique après septembre 1939. Elle gardera cependant des relations avec ses anciens camarades. Quand la guerre survient, Charles Presset de santé très fragile n’est pas mobilisé et définitivement réformé en octobre 1940. Il décède à Villetaneuse le 23 mars 1942. Cette même année, Delphine Jallat désormais veuve est embauchée à la S.O.M.U.A.[3] (Société d’outillage mécanique et d’usinage d’artillerie) à Saint Ouen, où son époux avait travaillé comme rectificateur. Le 18 juin 1942, elle voit arriver chez elle Maurice Grandcoing[4], inspecteur de l’Humanité clandestine, arrêté et évadé le jour même. Il vient chercher refuge chez Delphine dont il a retrouvé l’adresse, et qu’il a probablement connue au parti communiste. Maurice Grandcoing ne s’attarde pas, il sait qu’il peut être repris à tout moment. Mais pour repartir, il a besoin de papiers afin d’avoir une nouvelle identité. Delphine lui remet alors le livret militaire de son mari décédé. Le 25 juillet 1942, Maurice Grandcoing est à nouveau arrêté et les policiers saisissent sur lui le livret militaire de Charles Presset. Ils se rendent aussitôt en Savoie chez les parents de ce dernier qui leur déclarent que l’homme arrêté ne peut être leur fils puisqu’il est mort. Quelques jours plus tard, Delphine Presset est arrêtée sur son lieu de travail par la police française, pour avoir « donné l’état civil de son mari décédé à un jeune homme recherché par les autorités allemandes pour acte de terrorisme »[5]. Elle est internée le 10 août 1942 au Fort de Romainville où elle reçoit le matricule 619. Elle n’avait pas pensé à déclarer la « perte » ou le « vol » du livret militaire, ce qui lui aurait peut-être permis d’être disculpée. Le 22 janvier 1943, elle est transférée au camp de Royallieu à Compiègne. Avec deux cent vingt-neuf autres femmes, par un froid humide, elle est conduite le matin du dimanche 24 janvier à la gare de marchandises de Compiègne et monte dans les quatre derniers wagons à bestiaux du convoi dit des « 31000[6] » à destination d’Auschwitz. Durant le transport, à l’instar d’autres femmes, Delphine parvient à jeter un billet sur la voie, entre Laon et Reims pour informer les siens de son départ. Elles entrent le matin du 27 janvier au camp des femmes de Birkenau en chantant la Marseillaise. Après les formalités d’usage lors de l’arrivée au camp (déshabillage, tonte, désinfection, tatouage et photographie anthropométrique), Delphine et ses compagnes sont mises en quarantaine durant deux semaines au block 14 pour intégrer ensuite le 12 février le block 26 qui « abrite » un millier de femmes dans des conditions effroyables. Les premiers mois passés à Birkenau sont les plus meurtriers, en raison de l’épidémie de typhus qui sévit et des « sélections » qui conduisent les plus faibles dans les chambres à gaz. Delphine Presset n’y résiste pas et décède officiellement d’un « Sepsis sei Phlegmone »[7] le 2 mars 1943 à 9h55[8] , à peine cinq semaines après son arrivée au camp.
Eric BERNARD
[1] Voir DELBO, Charlotte. Le convoi du 24 janvier. Paris : Les éditions de Minuit, 1965 (réédition 2014). Page 239.
[2] D’après son acte de mariage.
[3] Entreprise active dans la construction de machines-outils et de véhicules routiers.
[4] Né en 1911, il est, avant la guerre, membre du comité central des Jeunesses communistes. Il travaille chez Renault à Boulogne-Billancourt tout en étant correspondant ouvrier pour le journal L’Humanité qui l’embauche en 1933 comme inspecteur des ventes. Après la dissolution du Parti communiste en août 1939, il entre dans l’illégalité et rejoint les rangs de l’Organisation Spéciale le 4 janvier 1941 et est nommé commandant militaire de la région ouest de Seine-et-Oise. A nouveau arrêté à Bordeaux le 25 juillet 1942, il est fusillé comme otage par les Allemands le 11 août 1942 au Mont Valérien.
[5] Motif d’arrestation notifié dans le formulaire de demande d’obtention de régularisation de l’état civil d’un « non rentré » renseigné par le frère de Delphine Jallat en novembre 1948.
[6] Ce transport, composé de 1466 hommes déportés à Sachsenhausen et de 230 femmes, est le seul convoi à avoir dirigé vers Auschwitz-Birkenau des résistantes. Elles ont été immatriculées dans la série des « 31000 » du camp, entre les numéros 31625 et 31854. Sur ces 230 femmes, 85% d’entre elles étaient des résistantes : 119 étaient communistes ou proches du PCF et appartenaient au Front national pour la liberté et l’indépendance de la France. Seulement 49 d’entre elles rentreront de déportation.
[7] Le sepsis est défini comme un état aigu de dysrégulation de la réponse de l’organisme à une infection entraînant le plus souvent un excès d’inflammation (phlegmon) qui provoque la perte de fonction des organes et un risque vital pour le sujet.
[8]Avis de décès établi le 15 mars 1943 figurant dans le registre des décès du bureau d’état civil d’Auschwitz, par le docteur Bruno Kitt, médecin-chef de l’hôpital des déportées, chargé de la sélection des malades pour la chambre à gaz. A été condamné à la pendaison par un tribunal britannique après la guerre.
Sources :
- Archives départementales du Gard, registre des naissances, année 1900.
- Archives départementales du Gard, registre des décès, années 1914 et 1921.
- Archives de Paris, registre des mariages, année 1925.
- Archives départementales de Haute Savoie, registre matriculaire, classe 1933.
- Service historique de la défense, département des fonds d’archives, division des archives des victimes des conflits contemporains, site de Caen. Dossier de Delphine Antoinette Presset née Jallat, cote AC 21 P 527 794
- DELBO, Charlotte. Le convoi du 24 janvier. Paris : Les éditions de Minuit, 1965 (réédition 2014). 304 pages
- Arolsen Archives, International Center on Nazi Persecution.
- Site internet de l’association Mémoire Vive des convois des « 45000 » et des « 31000 » d’Auschwitz-Birkenau : http://www.memoirevive.org/delphine-presset-nee-jallat-31638/ , dernière consultation le 20 octobre 2023.
RECHERCHEZ
Delphine, Antoinette est la fille d’Auguste Louis Jallat, plâtrier et de Louise Peyron, sans profession. Elle a un frère aîné, André, né le 12 avril 1899. Ses père et mère décèdent respectivement en 1914 et 1921 à Nîmes. Après le certificat d’études, elle occupe divers emplois dont celui de vendeuse[1]. Le 29 août 1925, elle épouse à Paris, Charles Félix Presset employé de commerce né en Haute-Savoie et résidant à Paris. Au moment de son mariage, Delphine est domiciliée à Perpignan et sans profession[2]. Sa date d’arrivée en région parisienne n’est pas connue. Le ménage habite successivement Paris, Saint-Denis et Villetaneuse. Avant la guerre, elle adhère au parti communiste et cessera d’avoir une activité politique après septembre 1939. Elle gardera cependant des relations avec ses anciens camarades. Quand la guerre survient, Charles Presset de santé très fragile n’est pas mobilisé et définitivement réformé en octobre 1940. Il décède à Villetaneuse le 23 mars 1942. Cette même année, Delphine Jallat désormais veuve est embauchée à la S.O.M.U.A.[3] (Société d’outillage mécanique et d’usinage d’artillerie) à Saint Ouen, où son époux avait travaillé comme rectificateur. Le 18 juin 1942, elle voit arriver chez elle Maurice Grandcoing[4], inspecteur de l’Humanité clandestine, arrêté et évadé le jour même. Il vient chercher refuge chez Delphine dont il a retrouvé l’adresse, et qu’il a probablement connue au parti communiste. Maurice Grandcoing ne s’attarde pas, il sait qu’il peut être repris à tout moment. Mais pour repartir, il a besoin de papiers afin d’avoir une nouvelle identité. Delphine lui remet alors le livret militaire de son mari décédé. Le 25 juillet 1942, Maurice Grandcoing est à nouveau arrêté et les policiers saisissent sur lui le livret militaire de Charles Presset. Ils se rendent aussitôt en Savoie chez les parents de ce dernier qui leur déclarent que l’homme arrêté ne peut être leur fils puisqu’il est mort. Quelques jours plus tard, Delphine Presset est arrêtée sur son lieu de travail par la police française, pour avoir « donné l’état civil de son mari décédé à un jeune homme recherché par les autorités allemandes pour acte de terrorisme »[5]. Elle est internée le 10 août 1942 au Fort de Romainville où elle reçoit le matricule 619. Elle n’avait pas pensé à déclarer la « perte » ou le « vol » du livret militaire, ce qui lui aurait peut-être permis d’être disculpée. Le 22 janvier 1943, elle est transférée au camp de Royallieu à Compiègne. Avec deux cent vingt-neuf autres femmes, par un froid humide, elle est conduite le matin du dimanche 24 janvier à la gare de marchandises de Compiègne et monte dans les quatre derniers wagons à bestiaux du convoi dit des « 31000[6] » à destination d’Auschwitz. Durant le transport, à l’instar d’autres femmes, Delphine parvient à jeter un billet sur la voie, entre Laon et Reims pour informer les siens de son départ. Elles entrent le matin du 27 janvier au camp des femmes de Birkenau en chantant la Marseillaise. Après les formalités d’usage lors de l’arrivée au camp (déshabillage, tonte, désinfection, tatouage et photographie anthropométrique), Delphine et ses compagnes sont mises en quarantaine durant deux semaines au block 14 pour intégrer ensuite le 12 février le block 26 qui « abrite » un millier de femmes dans des conditions effroyables. Les premiers mois passés à Birkenau sont les plus meurtriers, en raison de l’épidémie de typhus qui sévit et des « sélections » qui conduisent les plus faibles dans les chambres à gaz. Delphine Presset n’y résiste pas et décède officiellement d’un « Sepsis sei Phlegmone »[7] le 2 mars 1943 à 9h55[8] , à peine cinq semaines après son arrivée au camp.
Eric BERNARD
[1] Voir DELBO, Charlotte. Le convoi du 24 janvier. Paris : Les éditions de Minuit, 1965 (réédition 2014). Page 239.
[2] D’après son acte de mariage.
[3] Entreprise active dans la construction de machines-outils et de véhicules routiers.
[4] Né en 1911, il est, avant la guerre, membre du comité central des Jeunesses communistes. Il travaille chez Renault à Boulogne-Billancourt tout en étant correspondant ouvrier pour le journal L’Humanité qui l’embauche en 1933 comme inspecteur des ventes. Après la dissolution du Parti communiste en août 1939, il entre dans l’illégalité et rejoint les rangs de l’Organisation Spéciale le 4 janvier 1941 et est nommé commandant militaire de la région ouest de Seine-et-Oise. A nouveau arrêté à Bordeaux le 25 juillet 1942, il est fusillé comme otage par les Allemands le 11 août 1942 au Mont Valérien.
[5] Motif d’arrestation notifié dans le formulaire de demande d’obtention de régularisation de l’état civil d’un « non rentré » renseigné par le frère de Delphine Jallat en novembre 1948.
[6] Ce transport, composé de 1466 hommes déportés à Sachsenhausen et de 230 femmes, est le seul convoi à avoir dirigé vers Auschwitz-Birkenau des résistantes. Elles ont été immatriculées dans la série des « 31000 » du camp, entre les numéros 31625 et 31854. Sur ces 230 femmes, 85% d’entre elles étaient des résistantes : 119 étaient communistes ou proches du PCF et appartenaient au Front national pour la liberté et l’indépendance de la France. Seulement 49 d’entre elles rentreront de déportation.
[7] Le sepsis est défini comme un état aigu de dysrégulation de la réponse de l’organisme à une infection entraînant le plus souvent un excès d’inflammation (phlegmon) qui provoque la perte de fonction des organes et un risque vital pour le sujet.
[8]Avis de décès établi le 15 mars 1943 figurant dans le registre des décès du bureau d’état civil d’Auschwitz, par le docteur Bruno Kitt, médecin-chef de l’hôpital des déportées, chargé de la sélection des malades pour la chambre à gaz. A été condamné à la pendaison par un tribunal britannique après la guerre.
Sources :
- Archives départementales du Gard, registre des naissances, année 1900.
- Archives départementales du Gard, registre des décès, années 1914 et 1921.
- Archives de Paris, registre des mariages, année 1925.
- Archives départementales de Haute Savoie, registre matriculaire, classe 1933.
- Service historique de la défense, département des fonds d’archives, division des archives des victimes des conflits contemporains, site de Caen. Dossier de Delphine Antoinette Presset née Jallat, cote AC 21 P 527 794
- DELBO, Charlotte. Le convoi du 24 janvier. Paris : Les éditions de Minuit, 1965 (réédition 2014). 304 pages
- Arolsen Archives, International Center on Nazi Persecution.
- Site internet de l’association Mémoire Vive des convois des « 45000 » et des « 31000 » d’Auschwitz-Birkenau : http://www.memoirevive.org/delphine-presset-nee-jallat-31638/ , dernière consultation le 20 octobre 2023.