RECHERCHEZ
Le 21 octobre 1941, Jacques et Daniel sont inscrits sur le registre du lycée, trois semaines après la rentrée officielle. Le plus jeune, Jacques, a 7 ans. Il entre en 10e. Daniel, qui a eu 10 ans en Juin, est inscrit en 8e. Ce sont quasiment les derniers élèves inscrits en ce mois d’octobre. La famille Viegderhaus a quitté Paris mi-Juin et s’est réfugiée à Nîmes. Elle s’est installée dans une maison spacieuse avec un grand jardin, 94 Route d’Arles. C’est le grand-oncle Victor qui a acheté cette maison en Septembre 1940. Dans la déposition témoignant des circonstances de l’arrestation de la famille, Joseph Culoz, un voisin, liste le nom de chacun des 11 membres réunis à Nîmes : Georges, Rosa et leurs 2 enfants Daniel et Jacques ; Maurice et Feiga, les parents de Georges et Victor le frère de Maurice ; Émile et Léon, les frères de Georges et enfin Libhé, une tante. Joseph Culoz ne cite pas le plus jeune de la fratrie, Paul, le seul survivant en juillet 1946.
Au lycée, les classes des deux enfants ouvrent sur la cour des petits. Ce vaste espace, enserré dans les bâtiments anciens, raisonne des cris, des jeux et des pleurs. Même si les garçons sont largement majoritaires, quelques filles sont aussi présentes car les classes sont mixtes jusqu’en 7e. Les archives permettent de suivre la scolarité des deux frères. Daniel est l’un des élèves les plus âgés de 8e. Il passe en 7e1 en Octobre 1941 mais redouble sa classe à la rentrée 1942. Il a tout de même reçu le 4e prix ex-æquo de mathématiques lors de la cérémonie de remise des prix du 13 juillet 1942. Jacques, lui, suit un parcours plus linéaire. Il entre en 9e2 en Octobre 1941, puis en 8e2 un an plus tard. Il reçoit plusieurs distinctions lors de la remise des prix de 1942 : 2e prix en calcul et en dessin, 1er prix en leçon de chose, le 4e prix en chant. Ce palmarès est complété par le premier accessit de récitation et d’éducation physique. A l’issue de cette année scolaire, Rosa et ses trois enfants rejoignent la famille Lidsky à St Giron, en Ariège, où se sont réfugiés Fanny, la mère de Rosa, Paul et Michel, ses frères et les parents de Fanny.
Une photo prise durant l’été nous montre Jacques et Daniel souriants et heureux, en tenue de bain, au bord d’un torrent, avec leur cousine Myriam.
Les deux enfants ont-ils perçus l’inquiétude de la famille face à la multiplication des rafles à Nîmes à partir du mois d’août 1942 ? Selon les registres du lycée, de nombreux élèves quittent l’établissement dès l’été 1942. Les causes des départs sont notées à la hâte, souvent sous le diminutif «Ch de R», «change de Région». C’est le motif enregistré lors du départ de Jacques et Daniel, le 31 Mars 1943, leur dernier jour de classe. Joseph Culoz, leur voisin, témoigne de leur arrestation par la Gestapo. Il atteste comme étant de notoriété publique et à sa connaissance personnelle que tous les membres de la famille sus-nommés ont été arrêtés à leur domicile le 1er avril à 23h. D’abord internés à la prison St Pierre de Marseille, ils sont ensuite transférés à Drancy où ils restent du 1er mai au 23 juin 1943. Feiga, la grand-mère, diabétique, est morte à Marseille, par manque de soin. A Drancy, les Viegderhaus sont installés au 3e étage, escalier 22. Le bâtiment est neuf mais inachevé, très inconfortable. Les prisonniers ont le droit de communiquer avec famille et amis grâce au courrier. On retrouve des missives dans lesquelles les conditions de vie terribles sont décrites. Toutes réclament des colis alimentaires afin de nourrir décemment les enfants. Paul en particulier inquiète ses parents par sa maigreur. L’oncle Émile supplie, dans une lettre du 3 Mai, de tout mettre en œuvre pour « faire sortir les enfants de Georges surtout le petit Paupaul qui a à peine 2 ans et pour lequel nous craignons qu’il ne puisse supporter longtemps ce régime » Il ajoute : « Nous sommes complètement déprimés et affamés… tout ce que nous supportons depuis presque un mois est indescriptible ». Le 3 Juin, Daniel fête ses 13 ans dans le camp. Comment tous ceux qui l’entourent ont-ils réussi à ménager un moment festif dans l’enfer de Drancy ?
Paul est malade et soigné à l’infirmerie du camp. Il est réclamé aux autorités allemandes par l’UGIF puis transféré à l’hôpital Rothschild. Une filière de sauvetage très implantée dans cette institution sauvera Paul. Jacques, Daniel et tous leurs proches sont, quant à eux, déportés par le convoi 55 qui quitte la gare du Bourget le 23 Juin 1943, avec 1002 déportés. Comment les deux enfants ont-ils vécu le voyage très éprouvant ? Le convoi arrive à Auschwitz le 26 juin en fin d’après-midi. Il y avait une très forte proportion de jeunes juifs français parmi les prisonniers. Ceci explique la sélection et l’envoi dans des camps de travail annexes d’1/3 des déportés. C’est le cas de Georges. Il envoie une carte du camp de Jawischowitz, reçue par l’UGIF le 16 décembre 1943. Il était employé à l’extraction de charbon. On perd ensuite sa trace.
Rosa et ses enfants sont assassinés à leur arrivée à Auschwitz, le 26 Juin. Daniel a 13 ans. Jacques a 10 ans.
À l’issue de la guerre, les frères de Rosa, Paul et Michel Lidsky, retrouvent leur neveu Paul. Michel l’adoptera ensuite. Paul découvrira bien plus tard son histoire et le destin dramatique des siens. Nous avons eu la chance de le rencontrer. Il est aujourd’hui le parrain de notre projet, 12 Vies.
Rédaction :
Naïss BERTRAND et Adelina BANA-MATONDO, d’après les recherches d’Agnès ARCIN.
Élèves de Terminale du Lycée Daudet de Nîmes, année 2022-2023.
Professeures encadrant le projet 12 Vies : Agnès ARCIN et Anne BRUGÈRE.
Sources :
Registres du Lycée Daudet
Archives du Mémorial de la Shoah : Tapuscrit de Paul Lidsky, Le dernier des Viegderhaus, versé au Mémorial de la Shoah
Dossier Caen Jacques Yankel: 25 P 547 739
Dossier Caen Daniel Samuel Hirsh 25 P 547 736
RECHERCHEZ
Le 21 octobre 1941, Jacques et Daniel sont inscrits sur le registre du lycée, trois semaines après la rentrée officielle. Le plus jeune, Jacques, a 7 ans. Il entre en 10e. Daniel, qui a eu 10 ans en Juin, est inscrit en 8e. Ce sont quasiment les derniers élèves inscrits en ce mois d’octobre. La famille Viegderhaus a quitté Paris mi-Juin et s’est réfugiée à Nîmes. Elle s’est installée dans une maison spacieuse avec un grand jardin, 94 Route d’Arles. C’est le grand-oncle Victor qui a acheté cette maison en Septembre 1940. Dans la déposition témoignant des circonstances de l’arrestation de la famille, Joseph Culoz, un voisin, liste le nom de chacun des 11 membres réunis à Nîmes : Georges, Rosa et leurs 2 enfants Daniel et Jacques ; Maurice et Feiga, les parents de Georges et Victor le frère de Maurice ; Émile et Léon, les frères de Georges et enfin Libhé, une tante. Joseph Culoz ne cite pas le plus jeune de la fratrie, Paul, le seul survivant en juillet 1946.
Au lycée, les classes des deux enfants ouvrent sur la cour des petits. Ce vaste espace, enserré dans les bâtiments anciens, raisonne des cris, des jeux et des pleurs. Même si les garçons sont largement majoritaires, quelques filles sont aussi présentes car les classes sont mixtes jusqu’en 7e. Les archives permettent de suivre la scolarité des deux frères. Daniel est l’un des élèves les plus âgés de 8e. Il passe en 7e1 en Octobre 1941 mais redouble sa classe à la rentrée 1942. Il a tout de même reçu le 4e prix ex-æquo de mathématiques lors de la cérémonie de remise des prix du 13 juillet 1942. Jacques, lui, suit un parcours plus linéaire. Il entre en 9e2 en Octobre 1941, puis en 8e2 un an plus tard. Il reçoit plusieurs distinctions lors de la remise des prix de 1942 : 2e prix en calcul et en dessin, 1er prix en leçon de chose, le 4e prix en chant. Ce palmarès est complété par le premier accessit de récitation et d’éducation physique. A l’issue de cette année scolaire, Rosa et ses trois enfants rejoignent la famille Lidsky à St Giron, en Ariège, où se sont réfugiés Fanny, la mère de Rosa, Paul et Michel, ses frères et les parents de Fanny.
Une photo prise durant l’été nous montre Jacques et Daniel souriants et heureux, en tenue de bain, au bord d’un torrent, avec leur cousine Myriam.
Les deux enfants ont-ils perçus l’inquiétude de la famille face à la multiplication des rafles à Nîmes à partir du mois d’août 1942 ? Selon les registres du lycée, de nombreux élèves quittent l’établissement dès l’été 1942. Les causes des départs sont notées à la hâte, souvent sous le diminutif «Ch de R», «change de Région». C’est le motif enregistré lors du départ de Jacques et Daniel, le 31 Mars 1943, leur dernier jour de classe. Joseph Culoz, leur voisin, témoigne de leur arrestation par la Gestapo. Il atteste comme étant de notoriété publique et à sa connaissance personnelle que tous les membres de la famille sus-nommés ont été arrêtés à leur domicile le 1er avril à 23h. D’abord internés à la prison St Pierre de Marseille, ils sont ensuite transférés à Drancy où ils restent du 1er mai au 23 juin 1943. Feiga, la grand-mère, diabétique, est morte à Marseille, par manque de soin. A Drancy, les Viegderhaus sont installés au 3e étage, escalier 22. Le bâtiment est neuf mais inachevé, très inconfortable. Les prisonniers ont le droit de communiquer avec famille et amis grâce au courrier. On retrouve des missives dans lesquelles les conditions de vie terribles sont décrites. Toutes réclament des colis alimentaires afin de nourrir décemment les enfants. Paul en particulier inquiète ses parents par sa maigreur. L’oncle Émile supplie, dans une lettre du 3 Mai, de tout mettre en œuvre pour « faire sortir les enfants de Georges surtout le petit Paupaul qui a à peine 2 ans et pour lequel nous craignons qu’il ne puisse supporter longtemps ce régime » Il ajoute : « Nous sommes complètement déprimés et affamés… tout ce que nous supportons depuis presque un mois est indescriptible ». Le 3 Juin, Daniel fête ses 13 ans dans le camp. Comment tous ceux qui l’entourent ont-ils réussi à ménager un moment festif dans l’enfer de Drancy ?
Paul est malade et soigné à l’infirmerie du camp. Il est réclamé aux autorités allemandes par l’UGIF puis transféré à l’hôpital Rothschild. Une filière de sauvetage très implantée dans cette institution sauvera Paul. Jacques, Daniel et tous leurs proches sont, quant à eux, déportés par le convoi 55 qui quitte la gare du Bourget le 23 Juin 1943, avec 1002 déportés. Comment les deux enfants ont-ils vécu le voyage très éprouvant ? Le convoi arrive à Auschwitz le 26 juin en fin d’après-midi. Il y avait une très forte proportion de jeunes juifs français parmi les prisonniers. Ceci explique la sélection et l’envoi dans des camps de travail annexes d’1/3 des déportés. C’est le cas de Georges. Il envoie une carte du camp de Jawischowitz, reçue par l’UGIF le 16 décembre 1943. Il était employé à l’extraction de charbon. On perd ensuite sa trace.
Rosa et ses enfants sont assassinés à leur arrivée à Auschwitz, le 26 Juin. Daniel a 13 ans. Jacques a 10 ans.
À l’issue de la guerre, les frères de Rosa, Paul et Michel Lidsky, retrouvent leur neveu Paul. Michel l’adoptera ensuite. Paul découvrira bien plus tard son histoire et le destin dramatique des siens. Nous avons eu la chance de le rencontrer. Il est aujourd’hui le parrain de notre projet, 12 Vies.
Rédaction :
Naïss BERTRAND et Adelina BANA-MATONDO, d’après les recherches d’Agnès ARCIN.
Élèves de Terminale du Lycée Daudet de Nîmes, année 2022-2023.
Professeures encadrant le projet 12 Vies : Agnès ARCIN et Anne BRUGÈRE.
Sources :
Registres du Lycée Daudet
Archives du Mémorial de la Shoah : Tapuscrit de Paul Lidsky, Le dernier des Viegderhaus, versé au Mémorial de la Shoah
Dossier Caen Jacques Yankel: 25 P 547 739
Dossier Caen Daniel Samuel Hirsh 25 P 547 736