SPRUNG Joseph

  • Monowitz

  • Né le 18 janvier 1927 à Berlin

  • Revenu des camps

Joseph, est l’aîné d’une famille juive polonaise installée en Allemagne ; il a un jeune frère Heini. Leur père meurt de maladie en 1932. Leur mère, Czarna, ouvre alors une boutique de crèmes glacées dans la capitale, qui est détruite dès 1935. Quatre ans plus tard, elle met ses enfants à l’abri chez leur oncle et tante : Max et Dora Henenberg, qui habitent à Anvers (Belgique).  Elle les rejoint clandestinement quelques mois après. Lors de l’offensive allemande, comme de nombreux Belges, les Henenberg décident de se réfugier en France. Ils partent avec leurs deux plus jeunes enfants : Henri et Sylver ; Joseph les accompagne seul car sa mère veut rester auprès d’Heini, hospitalisé. A Arras, le petit groupe arrive à prendre un train vers le sud. Malheureusement, celui-ci est victime d’une terrible collision [i]. Dora Henenberg y perd ses deux jambes, la gangrène s’installe, elle meurt trois jours plus tard. Son mari doit également être amputé d’une jambe. Il rentre probablement ensuite en Belgique avec ses deux fils. Blessé lui aussi, Joseph Sprung est envoyé à Lorient (Morbihan) dans un hôpital pour enfants. Il y reste 6 mois, pendant lesquels il apprend le français, puis il part retrouver sa mère et son frère à Bruxelles. Il témoignera : « Un an plus tard, en 1941, tous les Juifs de Belgique ont dû quitter les grandes villes. Nous vivions maintenant à Bruxelles, puis nous avons été envoyés à la campagne, dans un petit village non loin de la frontière néerlandaise. Là-bas, tous les Juifs vivaient dans une école, il y avait peut-être soixante à quatre-vingts personnes, des familles entières, et à la fin de 1941, après quelques mois, nous avons été autorisés à retourner dans les grandes villes. Je suis retourné à l’école jusqu’à l’année suivante ». En août 1942, lorsque les juifs ont l’obligation de se déclarer à la Kommandantur, Mme Sprung préfère passer dans la clandestinité. Elle cache son fils Heini dans un couvent catholique et pousse Joseph, âgé de 15 ans, à passer en France avec de faux papiers. Celui-ci part avec Dolph, l’aîné des Henenberg. Les deux cousins s’installent d’abord à Montpellier où ils vivent de petits trafics. C’est là que Joseph arrive à obtenir une carte d’identité tout à fait authentique, au nom de Joseph Dubois. Il racontera : « Il y avait une loi française qui disait : si, par exemple, en cas de guerre, on n’est pas en mesure d’obtenir un certificat de naissance, on peut prendre deux personnes connues dans la ville comme témoins, et ensuite obtenir un certificat de naissance. C’est ce que j’ai fait. Deux personnes se sont portées garantes. C’était la mère et la grand-mère d’un ami de Montpellier, des protestantes françaises. Elles ont assuré que je venais de Metz et qu’elles me connaissaient depuis ma naissance. On écoute trop les vieux … ». Cependant, en juillet 1943, Dolph et Joseph sont obligés de s’enfuir à Bordeaux, pour échapper aux Allemands. Joseph trouve du travail comme interprète dans une entreprise suisse construisant, pour l’organisation Todt, un bunker pour les sous-marins. De son côté, Dolph ne peut s’empêcher de penser à ses frères, restés en Belgique. Il finit par convaincre Joseph, le seul à pouvoir voyager sans crainte grâce à ses vrais papiers d’identité, d’aller les chercher. Ainsi, probablement à la fin de l’été 1943, Joseph prend en charge ses deux cousins : Henri qui, tuberculeux, était dans un sanatorium et Sylver, 14 ans, qui vivait avec son père. Arrivés en France, ils s’installent dans une petite commune : Le Moutchic, au bord du lac de Lacanau (Gironde). Au mois d’octobre, les trois jeunes gens tentent de passer en Espagne, en compagnie de Dolph, près de La Llagone (Pyrénées-Orientales). Hélas, les cols sont trop enneigés, aucun passeur ne veut tenter l’aventure. Joseph, Henri et Sylver décident alors de passer par la Suisse. Peut-être est-ce sur leur chemin qu’ils font halte quelques temps à Nîmes, où l’on trouve la trace des deux frères Henenberg au 3 rue de l’Hôtel de Ville. Ils choisissent comme point de passage le village de La Cure, à cheval sur la frontière, entre la commune suisse de Saint-Cergue et la commune française des Rousses (Haut-Jura). A peine passés, ils sont arrêtés par les douaniers qui les refoulent en France, en les avertissant – selon la procédure alors en vigueur – que s’ils recommencent ils les livreront aux Allemands. Les trois jeunes gens, qui n’ont quasiment plus d’argent, font une seconde tentative deux jours plus tard. Les douaniers suisses les remettent à une patrouille allemande à qui ils confient leurs faux papiers ainsi que les vrais, portant la mention « Juif ». Arrêtés le 15 novembre, ils sont internés à Besançon pendant trois semaines, puis envoyés à Drancy le 7 décembre. Ils sont déportés par le convoi N° 63 pour Auschwitz dix jours plus tard. A leur arrivée à la gare, on leur indique qu’il faut marcher jusqu’au camp mais qu’un camion peut prendre en charge les malades. Henri, affaibli par sa tuberculose, monte dans le camion. Sylver le suit malgré les admonestations de Joseph : il ne veut pas abandonner son frère ! Ils sont emmenés directement à la chambre à gaz. Joseph Sprung échappe à ce terrible sort. Il est affecté à Monowitz-Buna (Auschwitz III) où il est exploité comme soudeur à l’usine IG Farben jusqu’à l’évacuation du camp, le 18 janvier 1945. Après une longue marche, il arrive avec ses compagnons à Gleiwitz, d’où il est envoyé à Dora-Mittelbau (matricule 108217). Le voyage en train dure près de deux semaines, sans eau [ii] . Il reste dans le camp quelques mois, pendant lesquels il est détaché à la construction d’une usine souterraine. Le 5 avril, il est évacué par les montagnes du Harz, en direction de Magdebourg. Au bout d’une ou deux semaines, ayant le pied infecté, il ne peut poursuivre cette marche exténuante. Il parvient à se cacher dans une grange où il est récupéré le lendemain par les troupes américaines.
Après avoir été soigné quelques jours dans un hôpital de Thuringe, il rentre à Bruxelles où il retrouve sa mère et son frère qui ont heureusement survécu à la guerre. L’année suivante, il s’embarque pour l’Australie et s’installe à Melbourne. Il change son patronyme en Spring, se marie et a deux fils.

Bien plus tard, en 1998, il porte plainte auprès du Tribunal Fédéral suisse pour avoir été, en toute connaissance de cause, livré aux Allemands avec ses deux cousins. En janvier 2000, « la plus haute juridiction suisse rejette la plainte d’un juif d’origine allemande qui blâme le gouvernement pour ses souffrances en temps de guerre – mais lui accorde l’argent qu’il a demandé. » Le tribunal considère sa requête comme tardive et non fondée juridiquement mais exprime au demandeur sa profonde compassion et ses regrets. Cette situation crée un malaise qui pousse quelques parlementaires et des particuliers à réunir la somme de 30.000 francs suisses en guise de dons, au nom de la population helvétique en faveur de Joseph. Celui-ci remercie ; mais demande que la somme soit remise à quelqu’un qui en ait réellement besoin.

Rédacteurs : Georges Muller, Gérard Krebs


[i] Il s’agit vraisemblablement de l’accident du 18 mai 1940 en gare de Morgny (Eure) cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_accidents_ferroviaires_en_France_au_XXe_si%C3%A8cle[ii]  Les 106 000 déportés de Monowitz, évacués le 18 janvier, parcourent à pied environ 50 km puis sont entassés dans des wagons de transports de charbon sans toit. Ils mettent 10 jours pour atteindre Dora où ils sont immatriculés. Dès le 1 février, la plupart repartent dans différents Kommandos : à Osterode notamment, pour creuser des galeries devant abriter une raffinerie de pétrole ; mais d’autres restent à Dora.

Sources :

-BBC News du 21 janvier 2000
-article du « Monde » du 15 août 1998 de Jean-Claude Buhrer.
-Wolheim memorial (dont photo) : http://www.wollheim-memorial.de/en/joseph_spring_1927
-Témoignage : https://www.woz.ch/einreiseversuche-in-die-schweiz-und-die-zeit-in-auschwitz/ein-glueck-trotz-schweiz-zu-leben

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SPRUNG Joseph

  • Monowitz

  • Né le 18 janvier 1927 à Berlin

  • Revenu des camps

Joseph, est l’aîné d’une famille juive polonaise installée en Allemagne ; il a un jeune frère Heini. Leur père meurt de maladie en 1932. Leur mère, Czarna, ouvre alors une boutique de crèmes glacées dans la capitale, qui est détruite dès 1935. Quatre ans plus tard, elle met ses enfants à l’abri chez leur oncle et tante : Max et Dora Henenberg, qui habitent à Anvers (Belgique).  Elle les rejoint clandestinement quelques mois après. Lors de l’offensive allemande, comme de nombreux Belges, les Henenberg décident de se réfugier en France. Ils partent avec leurs deux plus jeunes enfants : Henri et Sylver ; Joseph les accompagne seul car sa mère veut rester auprès d’Heini, hospitalisé. A Arras, le petit groupe arrive à prendre un train vers le sud. Malheureusement, celui-ci est victime d’une terrible collision [i]. Dora Henenberg y perd ses deux jambes, la gangrène s’installe, elle meurt trois jours plus tard. Son mari doit également être amputé d’une jambe. Il rentre probablement ensuite en Belgique avec ses deux fils. Blessé lui aussi, Joseph Sprung est envoyé à Lorient (Morbihan) dans un hôpital pour enfants. Il y reste 6 mois, pendant lesquels il apprend le français, puis il part retrouver sa mère et son frère à Bruxelles. Il témoignera : « Un an plus tard, en 1941, tous les Juifs de Belgique ont dû quitter les grandes villes. Nous vivions maintenant à Bruxelles, puis nous avons été envoyés à la campagne, dans un petit village non loin de la frontière néerlandaise. Là-bas, tous les Juifs vivaient dans une école, il y avait peut-être soixante à quatre-vingts personnes, des familles entières, et à la fin de 1941, après quelques mois, nous avons été autorisés à retourner dans les grandes villes. Je suis retourné à l’école jusqu’à l’année suivante ». En août 1942, lorsque les juifs ont l’obligation de se déclarer à la Kommandantur, Mme Sprung préfère passer dans la clandestinité. Elle cache son fils Heini dans un couvent catholique et pousse Joseph, âgé de 15 ans, à passer en France avec de faux papiers. Celui-ci part avec Dolph, l’aîné des Henenberg. Les deux cousins s’installent d’abord à Montpellier où ils vivent de petits trafics. C’est là que Joseph arrive à obtenir une carte d’identité tout à fait authentique, au nom de Joseph Dubois. Il racontera : « Il y avait une loi française qui disait : si, par exemple, en cas de guerre, on n’est pas en mesure d’obtenir un certificat de naissance, on peut prendre deux personnes connues dans la ville comme témoins, et ensuite obtenir un certificat de naissance. C’est ce que j’ai fait. Deux personnes se sont portées garantes. C’était la mère et la grand-mère d’un ami de Montpellier, des protestantes françaises. Elles ont assuré que je venais de Metz et qu’elles me connaissaient depuis ma naissance. On écoute trop les vieux … ». Cependant, en juillet 1943, Dolph et Joseph sont obligés de s’enfuir à Bordeaux, pour échapper aux Allemands. Joseph trouve du travail comme interprète dans une entreprise suisse construisant, pour l’organisation Todt, un bunker pour les sous-marins. De son côté, Dolph ne peut s’empêcher de penser à ses frères, restés en Belgique. Il finit par convaincre Joseph, le seul à pouvoir voyager sans crainte grâce à ses vrais papiers d’identité, d’aller les chercher. Ainsi, probablement à la fin de l’été 1943, Joseph prend en charge ses deux cousins : Henri qui, tuberculeux, était dans un sanatorium et Sylver, 14 ans, qui vivait avec son père. Arrivés en France, ils s’installent dans une petite commune : Le Moutchic, au bord du lac de Lacanau (Gironde). Au mois d’octobre, les trois jeunes gens tentent de passer en Espagne, en compagnie de Dolph, près de La Llagone (Pyrénées-Orientales). Hélas, les cols sont trop enneigés, aucun passeur ne veut tenter l’aventure. Joseph, Henri et Sylver décident alors de passer par la Suisse. Peut-être est-ce sur leur chemin qu’ils font halte quelques temps à Nîmes, où l’on trouve la trace des deux frères Henenberg au 3 rue de l’Hôtel de Ville. Ils choisissent comme point de passage le village de La Cure, à cheval sur la frontière, entre la commune suisse de Saint-Cergue et la commune française des Rousses (Haut-Jura). A peine passés, ils sont arrêtés par les douaniers qui les refoulent en France, en les avertissant – selon la procédure alors en vigueur – que s’ils recommencent ils les livreront aux Allemands. Les trois jeunes gens, qui n’ont quasiment plus d’argent, font une seconde tentative deux jours plus tard. Les douaniers suisses les remettent à une patrouille allemande à qui ils confient leurs faux papiers ainsi que les vrais, portant la mention « Juif ». Arrêtés le 15 novembre, ils sont internés à Besançon pendant trois semaines, puis envoyés à Drancy le 7 décembre. Ils sont déportés par le convoi N° 63 pour Auschwitz dix jours plus tard. A leur arrivée à la gare, on leur indique qu’il faut marcher jusqu’au camp mais qu’un camion peut prendre en charge les malades. Henri, affaibli par sa tuberculose, monte dans le camion. Sylver le suit malgré les admonestations de Joseph : il ne veut pas abandonner son frère ! Ils sont emmenés directement à la chambre à gaz. Joseph Sprung échappe à ce terrible sort. Il est affecté à Monowitz-Buna (Auschwitz III) où il est exploité comme soudeur à l’usine IG Farben jusqu’à l’évacuation du camp, le 18 janvier 1945. Après une longue marche, il arrive avec ses compagnons à Gleiwitz, d’où il est envoyé à Dora-Mittelbau (matricule 108217). Le voyage en train dure près de deux semaines, sans eau [ii] . Il reste dans le camp quelques mois, pendant lesquels il est détaché à la construction d’une usine souterraine. Le 5 avril, il est évacué par les montagnes du Harz, en direction de Magdebourg. Au bout d’une ou deux semaines, ayant le pied infecté, il ne peut poursuivre cette marche exténuante. Il parvient à se cacher dans une grange où il est récupéré le lendemain par les troupes américaines.
Après avoir été soigné quelques jours dans un hôpital de Thuringe, il rentre à Bruxelles où il retrouve sa mère et son frère qui ont heureusement survécu à la guerre. L’année suivante, il s’embarque pour l’Australie et s’installe à Melbourne. Il change son patronyme en Spring, se marie et a deux fils.

Bien plus tard, en 1998, il porte plainte auprès du Tribunal Fédéral suisse pour avoir été, en toute connaissance de cause, livré aux Allemands avec ses deux cousins. En janvier 2000, « la plus haute juridiction suisse rejette la plainte d’un juif d’origine allemande qui blâme le gouvernement pour ses souffrances en temps de guerre – mais lui accorde l’argent qu’il a demandé. » Le tribunal considère sa requête comme tardive et non fondée juridiquement mais exprime au demandeur sa profonde compassion et ses regrets. Cette situation crée un malaise qui pousse quelques parlementaires et des particuliers à réunir la somme de 30.000 francs suisses en guise de dons, au nom de la population helvétique en faveur de Joseph. Celui-ci remercie ; mais demande que la somme soit remise à quelqu’un qui en ait réellement besoin.

Rédacteurs : Georges Muller, Gérard Krebs


[i] Il s’agit vraisemblablement de l’accident du 18 mai 1940 en gare de Morgny (Eure) cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_accidents_ferroviaires_en_France_au_XXe_si%C3%A8cle[ii]  Les 106 000 déportés de Monowitz, évacués le 18 janvier, parcourent à pied environ 50 km puis sont entassés dans des wagons de transports de charbon sans toit. Ils mettent 10 jours pour atteindre Dora où ils sont immatriculés. Dès le 1 février, la plupart repartent dans différents Kommandos : à Osterode notamment, pour creuser des galeries devant abriter une raffinerie de pétrole ; mais d’autres restent à Dora.

Sources :

-BBC News du 21 janvier 2000
-article du « Monde » du 15 août 1998 de Jean-Claude Buhrer.
-Wolheim memorial (dont photo) : http://www.wollheim-memorial.de/en/joseph_spring_1927
-Témoignage : https://www.woz.ch/einreiseversuche-in-die-schweiz-und-die-zeit-in-auschwitz/ein-glueck-trotz-schweiz-zu-leben

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