MMATAN Emile, alias Malliot

  • 73733 Dachau-Allach

  • Né le 26 juin 1896 à Saint-Geniès-de-Malgoirès (Gard)

  • Décédé le 28 août 1973 à Montpellier

    Aîné d’une fratrie de quatre enfants, Emile Eugène est le fils d’Emile Matan, voyageur de commerce après avoir été tonnelier et poudrier ; sa mère Emilie Marie Peyron est blanchisseuse. Emile a tout juste huit ans quand sa sœur cadette Fanny née en 1901 meurt en juin 1904. Décès suivi en octobre 1905 de la naissance d’un garçon mort-né non prénommé. En novembre 1910, ses parents divorcent et Emile habitera désormais à Nîmes, rue Richelieu, avec sa mère et son frère Marcel qui vient d’avoir trois ans. A l’issue de sa scolarité primaire Emile obtient son certificat d’études primaires et se destine à la profession de cuisinier. Lorsque la première guerre mondiale éclate, Emile décide de rentrer des Etats Unis où il séjourne, pour « servir son pays ». En avril 1915 il est mobilisé et affecté au 7ème régiment de cuirassiers jusqu’au 30 juin 1915, date à laquelle il passe au 54ème R. A[1] à Lyon. La même année, il épouse à Nîmes, Marie Narcy, originaire du Cher. De leur union naît leur fils René le 16 juillet 1917 à Sury-en-Vaux dans le Cher. Le 30 mai 1916, Emile rejoint le 84ème R. A. L.[2] où il est nommé premier canonnier en octobre 1918. Il est démobilisé le 17 septembre 1919 et reçoit une citation à l’ordre de la Batterie[3] et est décoré de la médaille de Verdun[4]. En 1920 Emile s’installe avec sa famille à Montpellier et commence sa carrière professionnelle au sein de la biscuiterie Flor où il sera successivement contremaître, chef de fabrication et chef du personnel. Il y restera jusqu’à son départ à la retraite en 1962. Divorcé de sa première femme, il épouse à Montpellier le 1e mars 1930 Alphonsine Fagès, emballeuse, avec qui il aura un fils prénommé Gérard, né le 3 septembre 1934.  Acquis très tôt aux idées humanistes, Emile s’engage dès la fin des années 20 dans une vie syndicale, politique et associative très riche. Militant au sein de la section S.F.I.O. de Montpellier, il assure les fonctions de trésorier et à plusieurs reprises élu au conseil fédéral[5]. Il est également secrétaire général du syndicat CGT de la biscuiterie de Montpellier. Attiré par des fonctions politiques plus tournées vers l’ensemble de ses concitoyens, il va briguer divers mandats électifs locaux. Il se présente aux élections municipales de Montpellier en mai 1929 et en mai 1935, sur la liste socialiste S.F.I.O.  Il n’est pas élu la première fois mais il le sera six ans plus tard. En octobre 1934, il n’hésite pas à se présenter aux élections cantonales, toujours sur la liste S.F.I.O., dans le canton de Ganges mais sans succès. Il réitère sa candidature aux élections cantonales d’octobre 1937 mais cette fois-ci dans le 3e canton de Montpellier. Encore une fois il n’est pas élu. Persévérant, Emile ne se décourage pas pour autant et se présente à l’élection cantonale partielle du 3e canton de Montpellier toujours sur la liste socialiste S.F.I.O. mais en vain. Ces échecs n’altèrent en rien son plein investissement dans sa fonction de conseiller municipal délégué aux sports, aux fêtes et au bureau de bienfaisance. Des délégations en parfait accord avec ses centres d’intérêt et ses préoccupations sociales. Passionné de sport, il pratique le rugby et est affilié à l’association sportive « la Jeunesse sportive Jean Jaurès » de Montpellier. En février 1937, il reçoit du sous-secrétaire d’Etat à l’organisation des loisirs et des sports la médaille d’honneur d’argent de l’Education physique et de sports pour ses services rendus aux sports[6]. Parallèlement à son mandat d’élu municipal, Emile n’a de cesse de militer pour le progrès social, la promotion de la laïcité et des valeurs républicaines. Libre penseur[7], il est également membre de la Ligue des droits de l’Homme et de la loge Auguste Comte[8] de Montpellier. Son appartenance à la Franc-Maçonnerie lui vaudra d’être radié en mars 1942 de la Légion Française des Combattants[9].  Lorsque la seconde guerre mondiale survient, Emile est mobilisé au titre d’une affectation spéciale à la fabrication du pain de guerre jusqu’à sa démobilisation le 29 juin 1940. Fidèle à ses convictions, il refuse de cesser le combat suite à la défaite de juin 1940 et dès l’automne il rejoint le Mouvement de libération nationale d’Henry Frenay[10]. Il devient très vite chef de secteur du service de propagande qui assure les inscriptions sur les murs et la diffusion des journaux LIBERTE et VERITE[11]. Agent de renseignement NAP[12] très actif, Emile, devient en juin 1942 chef départemental de l’Armée Secrète de Combat et agit au sein du réseau[13] « Alexandre-LOYOLA[14] » Hérault, ce qui l’amène à être en relation avec tous les mouvements de résistance du département. Il en organise l’Etat-major, le secteur ville et le secteur département (visites de terrains de parachutage, recrutements, armements, évasions, fabrication de faux papiers, etc.). Suite à dénonciation, Emile est arrêté le 7 décembre 1942 par le service de police judiciaire (section Affaires Politiques) et subit plusieurs interrogatoires « musclés » durant lesquels il adopte une « attitude noble et résolue » et ne révèle aucun nom de responsable. Interné à la maison d’arrêt de Montpellier à compter du 12 décembre 1942, il est condamné par le tribunal correctionnel de Montpellier le 15 février 1943 à une peine de 18 mois d’emprisonnement et 10 000 frs d’amende pour « détention et distribution de tracts de nature à nuire à l’esprit des populations[15] ». Le 15 octobre 1943, en milieu de matinée, il est envoyé à la centrale d’Eysses[16] à Villeneuve-sur-Lot avec « le train dit de la Marseillaise[17] ». A son arrivée, il reçoit le numéro d’écrou 2403 et est affecté au préau 2[18]. A Eysses, Emile côtoie des hommes de toutes origines, géographique, sociales, politiques et carcérales[19]. Malgré la répression et la privation de liberté, il va trouver en la centrale d’Eysses un véritable lieu où les idéaux de la Résistance vont largement s’exprimer, à commencer par la mise en place d’une forte solidarité matérielle, culturelle et psychologique entre les détenus. Des conférences, des cours sont organisés pour partager la connaissance, réfléchir, préparer la libération du pays et sa reconstruction. Les festivités, notamment sportives, ont aussi leur place au sein de la Centrale et constituent ainsi un puissant facteur de sociabilité au sein des détenus. Dans la continuité de ses engagements passés, Emile participe à l’action des 9, 10 et 11 décembre 1943 visant à empêcher la livraison aux Allemands de 109 internés administratifs de la centrale. Il prend également une part active à la tentative d’évasion collective des 19 et 20 février 1944 en vue de rejoindre la Résistance extérieure[20]. Le 30 mai 1944, Emile et ses codétenus internés politiques sont remis par les autorités de Vichy à la division SS Das Reich[21] pour être transférés au camp de Compiègne-Royallieu où il est immatriculé 39543. Après un voyage de quatre jours en wagons à bestiaux, perturbé par les bombardements des lignes de chemin de fer, les 1200 internés politiques d’Eysses arrivent à Compiègne-Royallieu le 3 juin. Ils en repartent le 18 juin[22] au petit matin, pour le camp de concentration de Dachau.  Après trois jours d’un voyage effroyable, entassés à 110 ou 120 dans des wagons à bestiaux où la soif a rendu fous certains déportés, le convoi arrive à Dachau le 20 juin dans l’après-midi. Au terme de 14 heures d’attente sur la place d’appel, Emile se plie aux formalités administratives d’enregistrement du déporté lors de son arrivée au camp. Viennent ensuite les séances de déshabillage et de désinfection à un rythme effréné et sous les coups de matraque des kapos. Il regagne enfin son bloc de quarantaine où il restera environ trois semaines avant d’être affecté au début du mois de juillet au Kommando extérieur d’Allach[23] avec le matricule 73733. Réduit à l’état d’esclave, il est assigné à des travaux de terrassement extrêmement pénibles. Affamé, il doit travailler durant plus de 12 heures d’affilée. Emile voit la fin de son calvaire avec la libération d’Allach par les troupes américaines le 30 avril 1945, mais ce n’est qu’un mois plus tard qu’il retrouve les siens à Montpellier après un passage par le centre de rapatriement de Mulhouse.  Si son état de santé est jugé « bon[24] » lors de son rapatriement, il garde néanmoins un certain nombre de séquelles de sa déportation. Alors qu’il n’est pas encore libéré, il est porté par la S.F.I.O. comme candidat au premier tour des élections municipales des 29 avril et 13 mai 1945. Après un temps de réadaptation à sa vie familiale et professionnelle, Emile reprend dès 1946 ses engagements politiques. Il quitte la même année la S.F.I.O. et adhère au parti communiste après avoir intégré fin novembre le cabinet de Marcel Paul[25], ministre de la production industrielle. En 1947, il devient président du conseil des prud’hommes de Montpellier. La même année, il se porte candidat sur la liste communiste aux élections municipales d’octobre. Il n’est pas élu mais sa position de premier non élu de la liste communiste lui permet en mars 1948 de redevenir conseiller municipal à la suite du décès du conseiller communiste en fonction. En 1953, en désaccord avec un bon nombre de prises de position du groupe communiste, et refusant de faire son autocritique, il est exclu du PCF. Six ans plus tard, il renoue avec la S.F.I.O. et se présente sur la liste socialiste aux élections municipales de mars 1959. Parallèlement à ses engagements politiques, Emile assume de nombreuses responsabilités associatives dont celle d’administrateur de l’Association des Grands Mutilé de Guerre (AGMG) et de vice-président de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP). En 1970 il devient membre du conseil départemental des anciens combattants de l’Hérault.

    Entre novembre 1945 et janvier 1962, Emile se voit attribuer de nombreuses distinctions : la Croix de guerre 1939-1945 en novembre 1945, la médaille de l’Ordre de la Libération en avril 1946 et la médaille de la Résistance en octobre de la même année. Il est fait Chevalier de la Légion d’honneur en février 1949 et est promu au grade d’Officier de la Légion d’honneur en janvier 1962. En août 1950 il obtient le statut de déporté résistant et en 1951 il reçoit le grade de capitaine 1e classe F.F.C[26]  au titre du réseau « Alexandre-Loyola » NAP Combat.

    Emile Matan décède à Montpellier le 28 août 1973. En novembre 2019, le conseil municipal de Montpellier crée une rue à son nom.

    Eric BERNARD


    [1] Régiment d’artillerie

    [2] Régiment d’artillerie lourde

    [3] Une citation à l’ordre est une récompense militaire française donnée pour mettre en valeur un acte remarquable, généralement pour le courage ou l’énergie dont a fait preuve le récompensé au combat.

    [4] Créée par la ville de Verdun le 20 novembre 1916, remise aux anciens combattants des armées françaises et alliées qui se sont retrouvés en service commandé entre le 31 juillet 1914 et le 11 novembre 1918, dans le secteur de Verdun.

    [5] En 1935, 1936 et 1937.

    [6] Voir Journal Officiel page 2034 du 16 février 1937.

    [7] Fondée en 1847, La Libre Pensée est un mouvement qui se réclame de la raison et de la conscience. Elle promeut le libre examen et l’examen de conscience. Elle défend le principe constitutionnel de laïcité et la séparation des Églises et de l’État.

    [8] Créée en 1913 à Montpellier, affiliée à la Grande Loge de France

    [9] Voir la journal L’Eclair du 28 mars 1942

    [10] Deviendra le mouvement Combat à la suite de sa fusion avec le réseau Liberté en novembre 1941

    [11] Journaux dont la fusion en 1941 donnera le journal Combat, organe du mouvement de Résistance Combat.

    [12] Noyautage des administrations publiques. Service créé au sein du mouvement Combat chargé de détecter dans les différentes administrations publiques des sympathisants de la Résistance susceptibles de rendre des services de tous ordres à cette dernière (renseignement, fabrication de faux papiers, sabotages…).

    [13] Les réseaux sont des organisations paramilitaires dont les missions sont le renseignement, la mise en place des filières d’évasion de prisonniers de guerre et de soldats alliés, en particulier des aviateurs britanniques abattus au-dessus de la France.

    [14] Réseau des Forces Françaises Combattantes créé le 1e avril 1942 par Teddy Wilkinson.

    [15] Voir le journal L’Eclair du 16 février 1943.

    [16] Ancien bagne pour enfants, elle devient à l’automne 1943, une « maison centrale de force » où par mesure de sécurité, le gouvernement de Vichy a décidé d’y regrouper tous les condamnés politiques de la zone sud.

    [17] Lors de la halte du train en gare de Montpellier, en signe de protestation, les détenus enfermés dans les wagons se sont mis à chanter avec force la Marseillaise.

    [18] La centrale d’Eysses est divisée en quatre préaux regroupant chacun 150 à 300 internés

    [19] Voir l’ouvrage JALADIEU, Corinne. La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes. Paris : éd. L’Harmattan, décembre 2007, 289 p.

    [20] Tentative qui se soldera par un échec au bout de 13 heures de combat avec l’arrivée de renforts allemands.

    [21] Unité d’élite, la division blindée SS Das Reich était composée de jeunes engagés et de vétérans rompus aux méthodes punitives qui avaient commis sur le Front de l’Est de nombreux crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Basée à Montauban, sur l’ordre d’Hitler elle a une double mission : rejoindre au plus vite la Normandie où vient d’avoir lieu le débarquement et « nettoyer » les maquis français de leurs Résistants. En France elle a commis plusieurs atrocités, notamment à Tulle (99 hommes choisis au hasard et pendus à des balcons ou à des réverbères) et à Oradour-sur-Glane où elle a massacré, le 10 juin 1944, 642 habitants

    [22] Ce convoi compte 2139 hommes dont plus de la moitié des déportés proviennent de la Centrale d’Eysses, à Villeneuve-sur-Lot, seulement 1541 hommes sont revenus de déportation.

    [23] Créé en 1943 à 6 kilomètres de Munich et à 8 kilomètres de Dachau, sa population devait atteindre en mars 1945 14 000 déportés alors qu’il était prévu pour en recevoir 3 500.  Les déportés travaillaient au profit des usines d’aviation et de la firme BMW, situées à côté du camp annexe d’Allach.

    [24] Compte tenu de la masse des rapatriés qu’il fallait examiner, les examens médicaux effectués en centre de rapatriement ne pouvaient être que superficiels.

    [25] Syndicaliste CGT et membre du comité central du parti communiste, il fut ministre de la Production industrielle dans le gouvernement du Général de Gaulle de fin novembre 1945 à fin 1946.

    [26] Forces Françaises Combattantes

    Sources :

    • Service historique de la défense, département des fonds d’archives, division des archives des victimes des conflits contemporains. Dossier individuel d’homologation des services effectués au sein de la Résistance d’Emile Matan AC 21 P 593883
    • Service historique de la Défense, site de Vincennes, dossier d’Emile Matan GR 16 P 402683
    • Archives départementales du Gard, fiche matriculaire n°2447 de Emile Eugène Matan, cote 1 R 1055
    • Archives départementales du Gard, Registre des naissances 1893-1902, cote 5 E 6825
    • Archives départementales du Gard, Registre des mariages 1913-1932, cote 5 E 8683
    • Amicale des Anciens Détenus Patriotes de la Centrale d’Eysses. L’insurrection d’Eysses (19-23 février 1944). Une prison dans la Résistance. Paris : éditions sociales, 2e édition, 1e trimestre 1974, 252 p
    • Mairie de Montpellier, service de l’Etat Civil
    • Site internet Mémonum : bibliothèque numérique patrimoniale de Montpellier 3 M
    • Site internet Gallica : bibliothèque numérique de la Bibliothèque Nationale de France (BNF)
    • Site internet ressourcespatrimoines.laregion.fr : La médiathèque numérique culturelle de la région Occitanie
    • https://maitron.fr/spip.php?article120985, notice Mathan Emile, pseudo Maillot par Olivier Dedieu, Jean Sagnes, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 17 août 2016
    • Archives nationales, site de Pierrefitte, base de données des décorés de la Légion d’honneur Léonore, notice d’Emile Matan :

    https://www.leonore.archives-nationales.culture.gouv.fr/ui/notice/253998

    • Extrait du procès-verbal de délibération de la séance ordinaire du 21 novembre 2019 du conseil municipal de Montpellier.
    • Témoignages de Frédéric Matan (arrière-petit-fils d’Emile Matan)
    • Archives familiales conservées par Frédéric Matan
    • Dictionnaire en ligne centrale d’Eysses : https://www.resistants-eysses.fr/biographie/matan-emile
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    MMATAN Emile, alias Malliot

    • 73733 Dachau-Allach

    • Né le 26 juin 1896 à Saint-Geniès-de-Malgoirès (Gard)

    • Décédé le 28 août 1973 à Montpellier

      Aîné d’une fratrie de quatre enfants, Emile Eugène est le fils d’Emile Matan, voyageur de commerce après avoir été tonnelier et poudrier ; sa mère Emilie Marie Peyron est blanchisseuse. Emile a tout juste huit ans quand sa sœur cadette Fanny née en 1901 meurt en juin 1904. Décès suivi en octobre 1905 de la naissance d’un garçon mort-né non prénommé. En novembre 1910, ses parents divorcent et Emile habitera désormais à Nîmes, rue Richelieu, avec sa mère et son frère Marcel qui vient d’avoir trois ans. A l’issue de sa scolarité primaire Emile obtient son certificat d’études primaires et se destine à la profession de cuisinier. Lorsque la première guerre mondiale éclate, Emile décide de rentrer des Etats Unis où il séjourne, pour « servir son pays ». En avril 1915 il est mobilisé et affecté au 7ème régiment de cuirassiers jusqu’au 30 juin 1915, date à laquelle il passe au 54ème R. A[1] à Lyon. La même année, il épouse à Nîmes, Marie Narcy, originaire du Cher. De leur union naît leur fils René le 16 juillet 1917 à Sury-en-Vaux dans le Cher. Le 30 mai 1916, Emile rejoint le 84ème R. A. L.[2] où il est nommé premier canonnier en octobre 1918. Il est démobilisé le 17 septembre 1919 et reçoit une citation à l’ordre de la Batterie[3] et est décoré de la médaille de Verdun[4]. En 1920 Emile s’installe avec sa famille à Montpellier et commence sa carrière professionnelle au sein de la biscuiterie Flor où il sera successivement contremaître, chef de fabrication et chef du personnel. Il y restera jusqu’à son départ à la retraite en 1962. Divorcé de sa première femme, il épouse à Montpellier le 1e mars 1930 Alphonsine Fagès, emballeuse, avec qui il aura un fils prénommé Gérard, né le 3 septembre 1934.  Acquis très tôt aux idées humanistes, Emile s’engage dès la fin des années 20 dans une vie syndicale, politique et associative très riche. Militant au sein de la section S.F.I.O. de Montpellier, il assure les fonctions de trésorier et à plusieurs reprises élu au conseil fédéral[5]. Il est également secrétaire général du syndicat CGT de la biscuiterie de Montpellier. Attiré par des fonctions politiques plus tournées vers l’ensemble de ses concitoyens, il va briguer divers mandats électifs locaux. Il se présente aux élections municipales de Montpellier en mai 1929 et en mai 1935, sur la liste socialiste S.F.I.O.  Il n’est pas élu la première fois mais il le sera six ans plus tard. En octobre 1934, il n’hésite pas à se présenter aux élections cantonales, toujours sur la liste S.F.I.O., dans le canton de Ganges mais sans succès. Il réitère sa candidature aux élections cantonales d’octobre 1937 mais cette fois-ci dans le 3e canton de Montpellier. Encore une fois il n’est pas élu. Persévérant, Emile ne se décourage pas pour autant et se présente à l’élection cantonale partielle du 3e canton de Montpellier toujours sur la liste socialiste S.F.I.O. mais en vain. Ces échecs n’altèrent en rien son plein investissement dans sa fonction de conseiller municipal délégué aux sports, aux fêtes et au bureau de bienfaisance. Des délégations en parfait accord avec ses centres d’intérêt et ses préoccupations sociales. Passionné de sport, il pratique le rugby et est affilié à l’association sportive « la Jeunesse sportive Jean Jaurès » de Montpellier. En février 1937, il reçoit du sous-secrétaire d’Etat à l’organisation des loisirs et des sports la médaille d’honneur d’argent de l’Education physique et de sports pour ses services rendus aux sports[6]. Parallèlement à son mandat d’élu municipal, Emile n’a de cesse de militer pour le progrès social, la promotion de la laïcité et des valeurs républicaines. Libre penseur[7], il est également membre de la Ligue des droits de l’Homme et de la loge Auguste Comte[8] de Montpellier. Son appartenance à la Franc-Maçonnerie lui vaudra d’être radié en mars 1942 de la Légion Française des Combattants[9].  Lorsque la seconde guerre mondiale survient, Emile est mobilisé au titre d’une affectation spéciale à la fabrication du pain de guerre jusqu’à sa démobilisation le 29 juin 1940. Fidèle à ses convictions, il refuse de cesser le combat suite à la défaite de juin 1940 et dès l’automne il rejoint le Mouvement de libération nationale d’Henry Frenay[10]. Il devient très vite chef de secteur du service de propagande qui assure les inscriptions sur les murs et la diffusion des journaux LIBERTE et VERITE[11]. Agent de renseignement NAP[12] très actif, Emile, devient en juin 1942 chef départemental de l’Armée Secrète de Combat et agit au sein du réseau[13] « Alexandre-LOYOLA[14] » Hérault, ce qui l’amène à être en relation avec tous les mouvements de résistance du département. Il en organise l’Etat-major, le secteur ville et le secteur département (visites de terrains de parachutage, recrutements, armements, évasions, fabrication de faux papiers, etc.). Suite à dénonciation, Emile est arrêté le 7 décembre 1942 par le service de police judiciaire (section Affaires Politiques) et subit plusieurs interrogatoires « musclés » durant lesquels il adopte une « attitude noble et résolue » et ne révèle aucun nom de responsable. Interné à la maison d’arrêt de Montpellier à compter du 12 décembre 1942, il est condamné par le tribunal correctionnel de Montpellier le 15 février 1943 à une peine de 18 mois d’emprisonnement et 10 000 frs d’amende pour « détention et distribution de tracts de nature à nuire à l’esprit des populations[15] ». Le 15 octobre 1943, en milieu de matinée, il est envoyé à la centrale d’Eysses[16] à Villeneuve-sur-Lot avec « le train dit de la Marseillaise[17] ». A son arrivée, il reçoit le numéro d’écrou 2403 et est affecté au préau 2[18]. A Eysses, Emile côtoie des hommes de toutes origines, géographique, sociales, politiques et carcérales[19]. Malgré la répression et la privation de liberté, il va trouver en la centrale d’Eysses un véritable lieu où les idéaux de la Résistance vont largement s’exprimer, à commencer par la mise en place d’une forte solidarité matérielle, culturelle et psychologique entre les détenus. Des conférences, des cours sont organisés pour partager la connaissance, réfléchir, préparer la libération du pays et sa reconstruction. Les festivités, notamment sportives, ont aussi leur place au sein de la Centrale et constituent ainsi un puissant facteur de sociabilité au sein des détenus. Dans la continuité de ses engagements passés, Emile participe à l’action des 9, 10 et 11 décembre 1943 visant à empêcher la livraison aux Allemands de 109 internés administratifs de la centrale. Il prend également une part active à la tentative d’évasion collective des 19 et 20 février 1944 en vue de rejoindre la Résistance extérieure[20]. Le 30 mai 1944, Emile et ses codétenus internés politiques sont remis par les autorités de Vichy à la division SS Das Reich[21] pour être transférés au camp de Compiègne-Royallieu où il est immatriculé 39543. Après un voyage de quatre jours en wagons à bestiaux, perturbé par les bombardements des lignes de chemin de fer, les 1200 internés politiques d’Eysses arrivent à Compiègne-Royallieu le 3 juin. Ils en repartent le 18 juin[22] au petit matin, pour le camp de concentration de Dachau.  Après trois jours d’un voyage effroyable, entassés à 110 ou 120 dans des wagons à bestiaux où la soif a rendu fous certains déportés, le convoi arrive à Dachau le 20 juin dans l’après-midi. Au terme de 14 heures d’attente sur la place d’appel, Emile se plie aux formalités administratives d’enregistrement du déporté lors de son arrivée au camp. Viennent ensuite les séances de déshabillage et de désinfection à un rythme effréné et sous les coups de matraque des kapos. Il regagne enfin son bloc de quarantaine où il restera environ trois semaines avant d’être affecté au début du mois de juillet au Kommando extérieur d’Allach[23] avec le matricule 73733. Réduit à l’état d’esclave, il est assigné à des travaux de terrassement extrêmement pénibles. Affamé, il doit travailler durant plus de 12 heures d’affilée. Emile voit la fin de son calvaire avec la libération d’Allach par les troupes américaines le 30 avril 1945, mais ce n’est qu’un mois plus tard qu’il retrouve les siens à Montpellier après un passage par le centre de rapatriement de Mulhouse.  Si son état de santé est jugé « bon[24] » lors de son rapatriement, il garde néanmoins un certain nombre de séquelles de sa déportation. Alors qu’il n’est pas encore libéré, il est porté par la S.F.I.O. comme candidat au premier tour des élections municipales des 29 avril et 13 mai 1945. Après un temps de réadaptation à sa vie familiale et professionnelle, Emile reprend dès 1946 ses engagements politiques. Il quitte la même année la S.F.I.O. et adhère au parti communiste après avoir intégré fin novembre le cabinet de Marcel Paul[25], ministre de la production industrielle. En 1947, il devient président du conseil des prud’hommes de Montpellier. La même année, il se porte candidat sur la liste communiste aux élections municipales d’octobre. Il n’est pas élu mais sa position de premier non élu de la liste communiste lui permet en mars 1948 de redevenir conseiller municipal à la suite du décès du conseiller communiste en fonction. En 1953, en désaccord avec un bon nombre de prises de position du groupe communiste, et refusant de faire son autocritique, il est exclu du PCF. Six ans plus tard, il renoue avec la S.F.I.O. et se présente sur la liste socialiste aux élections municipales de mars 1959. Parallèlement à ses engagements politiques, Emile assume de nombreuses responsabilités associatives dont celle d’administrateur de l’Association des Grands Mutilé de Guerre (AGMG) et de vice-président de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP). En 1970 il devient membre du conseil départemental des anciens combattants de l’Hérault.

      Entre novembre 1945 et janvier 1962, Emile se voit attribuer de nombreuses distinctions : la Croix de guerre 1939-1945 en novembre 1945, la médaille de l’Ordre de la Libération en avril 1946 et la médaille de la Résistance en octobre de la même année. Il est fait Chevalier de la Légion d’honneur en février 1949 et est promu au grade d’Officier de la Légion d’honneur en janvier 1962. En août 1950 il obtient le statut de déporté résistant et en 1951 il reçoit le grade de capitaine 1e classe F.F.C[26]  au titre du réseau « Alexandre-Loyola » NAP Combat.

      Emile Matan décède à Montpellier le 28 août 1973. En novembre 2019, le conseil municipal de Montpellier crée une rue à son nom.

      Eric BERNARD


      [1] Régiment d’artillerie

      [2] Régiment d’artillerie lourde

      [3] Une citation à l’ordre est une récompense militaire française donnée pour mettre en valeur un acte remarquable, généralement pour le courage ou l’énergie dont a fait preuve le récompensé au combat.

      [4] Créée par la ville de Verdun le 20 novembre 1916, remise aux anciens combattants des armées françaises et alliées qui se sont retrouvés en service commandé entre le 31 juillet 1914 et le 11 novembre 1918, dans le secteur de Verdun.

      [5] En 1935, 1936 et 1937.

      [6] Voir Journal Officiel page 2034 du 16 février 1937.

      [7] Fondée en 1847, La Libre Pensée est un mouvement qui se réclame de la raison et de la conscience. Elle promeut le libre examen et l’examen de conscience. Elle défend le principe constitutionnel de laïcité et la séparation des Églises et de l’État.

      [8] Créée en 1913 à Montpellier, affiliée à la Grande Loge de France

      [9] Voir la journal L’Eclair du 28 mars 1942

      [10] Deviendra le mouvement Combat à la suite de sa fusion avec le réseau Liberté en novembre 1941

      [11] Journaux dont la fusion en 1941 donnera le journal Combat, organe du mouvement de Résistance Combat.

      [12] Noyautage des administrations publiques. Service créé au sein du mouvement Combat chargé de détecter dans les différentes administrations publiques des sympathisants de la Résistance susceptibles de rendre des services de tous ordres à cette dernière (renseignement, fabrication de faux papiers, sabotages…).

      [13] Les réseaux sont des organisations paramilitaires dont les missions sont le renseignement, la mise en place des filières d’évasion de prisonniers de guerre et de soldats alliés, en particulier des aviateurs britanniques abattus au-dessus de la France.

      [14] Réseau des Forces Françaises Combattantes créé le 1e avril 1942 par Teddy Wilkinson.

      [15] Voir le journal L’Eclair du 16 février 1943.

      [16] Ancien bagne pour enfants, elle devient à l’automne 1943, une « maison centrale de force » où par mesure de sécurité, le gouvernement de Vichy a décidé d’y regrouper tous les condamnés politiques de la zone sud.

      [17] Lors de la halte du train en gare de Montpellier, en signe de protestation, les détenus enfermés dans les wagons se sont mis à chanter avec force la Marseillaise.

      [18] La centrale d’Eysses est divisée en quatre préaux regroupant chacun 150 à 300 internés

      [19] Voir l’ouvrage JALADIEU, Corinne. La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes. Paris : éd. L’Harmattan, décembre 2007, 289 p.

      [20] Tentative qui se soldera par un échec au bout de 13 heures de combat avec l’arrivée de renforts allemands.

      [21] Unité d’élite, la division blindée SS Das Reich était composée de jeunes engagés et de vétérans rompus aux méthodes punitives qui avaient commis sur le Front de l’Est de nombreux crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Basée à Montauban, sur l’ordre d’Hitler elle a une double mission : rejoindre au plus vite la Normandie où vient d’avoir lieu le débarquement et « nettoyer » les maquis français de leurs Résistants. En France elle a commis plusieurs atrocités, notamment à Tulle (99 hommes choisis au hasard et pendus à des balcons ou à des réverbères) et à Oradour-sur-Glane où elle a massacré, le 10 juin 1944, 642 habitants

      [22] Ce convoi compte 2139 hommes dont plus de la moitié des déportés proviennent de la Centrale d’Eysses, à Villeneuve-sur-Lot, seulement 1541 hommes sont revenus de déportation.

      [23] Créé en 1943 à 6 kilomètres de Munich et à 8 kilomètres de Dachau, sa population devait atteindre en mars 1945 14 000 déportés alors qu’il était prévu pour en recevoir 3 500.  Les déportés travaillaient au profit des usines d’aviation et de la firme BMW, situées à côté du camp annexe d’Allach.

      [24] Compte tenu de la masse des rapatriés qu’il fallait examiner, les examens médicaux effectués en centre de rapatriement ne pouvaient être que superficiels.

      [25] Syndicaliste CGT et membre du comité central du parti communiste, il fut ministre de la Production industrielle dans le gouvernement du Général de Gaulle de fin novembre 1945 à fin 1946.

      [26] Forces Françaises Combattantes

      Sources :

      • Service historique de la défense, département des fonds d’archives, division des archives des victimes des conflits contemporains. Dossier individuel d’homologation des services effectués au sein de la Résistance d’Emile Matan AC 21 P 593883
      • Service historique de la Défense, site de Vincennes, dossier d’Emile Matan GR 16 P 402683
      • Archives départementales du Gard, fiche matriculaire n°2447 de Emile Eugène Matan, cote 1 R 1055
      • Archives départementales du Gard, Registre des naissances 1893-1902, cote 5 E 6825
      • Archives départementales du Gard, Registre des mariages 1913-1932, cote 5 E 8683
      • Amicale des Anciens Détenus Patriotes de la Centrale d’Eysses. L’insurrection d’Eysses (19-23 février 1944). Une prison dans la Résistance. Paris : éditions sociales, 2e édition, 1e trimestre 1974, 252 p
      • Mairie de Montpellier, service de l’Etat Civil
      • Site internet Mémonum : bibliothèque numérique patrimoniale de Montpellier 3 M
      • Site internet Gallica : bibliothèque numérique de la Bibliothèque Nationale de France (BNF)
      • Site internet ressourcespatrimoines.laregion.fr : La médiathèque numérique culturelle de la région Occitanie
      • https://maitron.fr/spip.php?article120985, notice Mathan Emile, pseudo Maillot par Olivier Dedieu, Jean Sagnes, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 17 août 2016
      • Archives nationales, site de Pierrefitte, base de données des décorés de la Légion d’honneur Léonore, notice d’Emile Matan :

      https://www.leonore.archives-nationales.culture.gouv.fr/ui/notice/253998

      • Extrait du procès-verbal de délibération de la séance ordinaire du 21 novembre 2019 du conseil municipal de Montpellier.
      • Témoignages de Frédéric Matan (arrière-petit-fils d’Emile Matan)
      • Archives familiales conservées par Frédéric Matan
      • Dictionnaire en ligne centrale d’Eysses : https://www.resistants-eysses.fr/biographie/matan-emile
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